La peur à ses trousses, Dovna trottine dans les escaliers en ayant l’impression que la mort va surgir au détour d’un couloir, tenue par la main hargneuse d’un fer-né qui aurait deviné ses intentions interdites. Son coeur tambourine si fort dans sa poitrine qu’elle en devient presque sourde. Il bat de crainte, d’effroi, d’inquiétude et d’une adrénaline impétueuse : il désire ardemment la liberté si longuement attendue, si bien qu’il est prêt à se battre pour l’obtenir, prêt à mourir s’il s’en voit privé de nouveau.

« Allons courage Dovna, courage… »

Tenant les pans de sa robe souillée pour ne pas tomber dans les dernières marches qui conduisent à la cuisine déserte, qui n’est seulement traversée que par les esclaves qui viennent remplir les chopes et les assiettes afin d’agrémenter le banquet en gourmandise, Dovna s’enhardit de quelques mots favorables d’une voix basse, pour que personne ne puisse l’entendre. Oh, s’ils venaient à l’entendre… ! Prise en étau entre ses pensées formées d’une angoisse sans nom et les ombres menaçantes qui se dessinent autour de sa personne, la blonde se retourne sur elle-même pour jeter une œillade intimidée dans le couloir, depuis lequel quelques bougies virevoltent sous le passage du vent gelé. Des ombres… Ce ne sont que des ombres. Mais un instant, elle croit entendre quelqu’un venir… Une porte qui grince. L’éclat d’une voix paillarde. Mais rien. Personne. Le silence. Le vide. La liberté. Oh, la liberté…

Debout, droite comme un piquet, elle hésite, elle a peur, elle tremble. Toute seule au milieu de la cuisine, elle sait que le temps lui est compté : d’une minute à l’autre, quelqu’un peut arriver, esclave ou envahisseur, et la liberté s’envolera comme de la fumée entre ses doigts. Son coeur bat toujours aussi vite, il martèle si fort dans sa cage thoracique que le cognement en devient véritablement douloureux : est-ce qu’il va s’arrêter de battre ? Elle fixe la fenêtre quelques secondes, avale difficilement sa salive et… Elle s’élance sans réfléchir. Le souffle court, les lèvres entrouvertes, palpitant euphorique, elle grimpe sur la table sous la lucarne et entrouvre rapidement les volets de bois qui, malgré le tumulte, claque contre la pierre du fort occupé ; qu’importe, il est trop tard pour renoncer à présent. La mort est préférable à la soumission.

Aguerrie par des années de galops sur sa jument et de jeux intrépides dans les champs paisibles de ses terres, la jeune femme agile enjambe la fenêtre et retombe sans mal sur ses deux pieds de l’autre côté, en balayant aussitôt les alentours d’un regard circulaire : personne. Sans se réjouir, pas encore, elle se retourne pour refermer délicatement les deux volets afin de ne pas attirer l’attention avant de filer aussitôt vers les écuries, dans l’intention illusoire de dérober un cheval pour fuir cet endroit maudit.

À l’intérieur comme à l’extérieur, l’ambiance grisante de la fête la rend invisible aux yeux des autres : pour preuve, les rares personnes qui ne sont pas encore ivres ne remarquent même pas sa silhouette inoffensive et fragile qui déambule dans Salvemer, si bien qu’elle s’étonne silencieusement de la facilité avec laquelle elle rejoint les écuries, dans lesquelles Delylah l’avait conduite quelques jours plus tôt… Delylah. Elle culpabilise effroyablement de l’abandonner entre les mains de son époux qui n’en mérite point le titre tant elle est douce, mais quel choix sinon fuir pour assurer sa propre survie ? Malgré un pincement au coeur, qui lui donne un instant l’impression d’être d’un égoïsme sans nom, Dovna longe les équidés enfermés dans leurs box pour rejoindre la stalle, où deux chevaux beiges sont attachés ; ils honnissent à son contact lorsqu’elle approche sa main blanche de la corde nouée à leurs encolures, juste avant d’être happée par une masse informe un peu plus loin… Qu’est-ce que… Oh, non…

« Jeffroy… »

Retenant un cri d’effroi au fond de sa gorge tandis que ses yeux émus reconnaissent enfin la silhouette du frère de Delylah, Dovna accourt en sa direction et se laisse tomber juste à côté de son visage, sur les genoux, sa main saisissant aussitôt la sienne tandis que de l’autre, elle repousse tendrement les quelques mèches de ses cheveux sombres qui barrent son front perlé de sueur et de sang ; il est blessé, atrocement mal en point, et elle n’a guère besoin de réfléchir aux circonstances l’ayant conduit à ce désastre. Elle aimerait l’aider, le soigner même, mais un pan de son esprit ne peut se résoudre à abandonner cette lutte entamée pour sa survie, pour sa liberté. Peut-être n’est-elle pas assez courageuse pour rester ici… Ou peut-être l’est-elle trop ?

Véritablement peinée de le découvrir ainsi, Dovna se penche au-dessus de lui en retenant les larmes de tristesse qui viennent emplir ses paupières, alors même qu’ils échangent un regard bien plus éloquent que le plus fin des discours : il sait qu’elle va fuir et, dans sa douleur atroce, dans son désespoir profond, il trouve encore la force de lui envoyer un maigre sourire... Mais elle a à peine le temps de lui rendre cette chimère complice avant d’entendre des pas qui s’approchent d’eux, sans doute pour venir s’enquérir avec moqueries de l’état du blessé, et elle n’a alors pas d’autres choix que de l’abandonner à son titre sort : elle serre sa main une ultime fois, plonge ses yeux azurés dans les siens comme pour lui promettre silencieusement de revenir, de les aider, de ne pas les laisser tomber, avant de se redresser et de courir en dehors-des écuries, sans un bruit, sous la complicité argentée de la lune muette. Elle abandonne Delylah. Elle abandonne Jeffroy. Mais elle ne peut pas s’abandonner elle-même. Pas encore une fois. Plus jamais.

Mais le désespoir vient de nouveau griffer son coeur quand elle réalise qu’elle va devoir fuir avec seulement ses jambes pour se déplacer et échapper aux fer-nés ; sa quête de liberté lui parait alors impossible, inconcevable, mais la force insoupçonnée de son esprit déterminé ne peut admettre la défaite. Essoufflée, la blonde accole son dos contre le mur froid derrière elle, durant quelques secondes, le temps d’enfouir son visage entre ses mains blanches et d’y expier un peu de son angoisse étouffante ; elle a le vertige, sa tête bourdonne et elle tremble mais, pour la première fois depuis des jours, elle n’a pas froid, elle ne se sent pas faible, ni fatiguée. Elle est brûlante. Brûlante de courage, de détermination et de force.

Son buste féminin se soulève à une vitesse effrénée dans sa cage thoracique mais elle tente de dissiper ses angoisses pour rétablir de l’ordre dans son esprit en lambeaux ; ses yeux parcourent brièvement alors le paysage autour d’elle, et une idée folle, saugrenue, irréelle, s’insinue lentement dans son esprit.

Le mur.
Elle pourrait l’escalader.
Elle l’a déjà fait avec ses frères.
Elle pourrait le faire.
Elle le peut.

Les yeux rivés sur le mur face à elle, Dovna redresse ses épaules tout en stabilisant sa respiration du mieux qu’elle peut. L’idée germe, établie des racines d’espoir et s’élance à la poursuite de la liberté qui lui tend les bras. Oui, elle l’a déjà fait alors elle peut recommencer. Certes, les murs n’étaient pas aussi hauts  et elle n’était pas seule mais aucun obstacle ne semble pouvoir l’arrêter. Elle s’avance d’un pas lent mais décidé, sans ciller, jusqu’à atteindre le mur ; et là, en silence, son coeur battant à tout rompre, elle monte tout d’abord sur un tonneau abandonné là puis, lentement, en cherchant ses appuis, en s’écorchant les doigts, elle commence l’ascension à la poursuite de sa liberté…

Il n'y a qu'une seule chance, elle le sait. C’est la sienne.

Intervention du Maître du jeu

 

L’effort incommensurable plaignait son corps de quelques endolorissements crispés dans ses jambes et ses poignets, qui firent grimacer ses lèvres lors des derniers instants ; toute volontaire qu’elle était, et déterminée dans l’ascension de ce mur effrité, rongé par le sel marin porté par le vent qui soufflait avec acharnement sur les côtes, Dovna ne put le gravir dans sa totalité. Pourtant, elle s’était déjà élevée d’une bonne hauteur, s’y accrochant et luttant de toutes ses forces pour le franchir et retrouver sa liberté tant chérie, lorsque la chute, inévitable et prévisible, l’avait durement accablée : déclinant d’une hauteur plus ou moins conséquente dans un hoquet de surprise qui fut étranglé au fond de sa gorge, Dovna était lourdement retombée sur son épaule gauche, achevant sa chute dans un râle de douleur.

Elle y avait cru… Elle avait été si près du but.

La frustration, la déception et la colère tournée contre elle-même se mélangèrent pour former un élan de tristesse et de désespoir, car elle entrevoyait ici un échec qui la condamnait sans discorde : se remettant péniblement sur ses jambes tremblantes, encore sous l’émoi de l’effort, de la peur mais aussi de  l’infortune de son destin tragique, elle avait mollement massé son épaule affligée en lançant un regard plein d’amertume en direction du mur infranchissable, devenu obstacle et coupable de ses malheurs, et qui lui paraissait encore plus grand que jadis.

Jamais elle ne pourra quitter ces murs.
Pas vivante, du moins.
Pas entière.

L’espoir meurtri en son coeur désolé fut tel que des larmes avaient accourues dans ses yeux, larmes qu’elle avait chassé d’un revers de la main, sans délicatesse aucune. Ses doigts étaient entaillés à plusieurs endroits, ses jambes avaient été griffées par les rebords hachurés de la pierre, mais elle ne sentait aucun picotement de souffrance, sinon celui qui venait courber son âme, abattue.
Ne sachant où aller, ne sachant que faire, Dovna avait fait quelques pas pour se rapprocher du mur, collant son dos contre celui-ci et se laissant glisser le long de celui-ci pour finir à genoux, enfouissant son visage dans ses paumes en piteux état afin d’y déverser son chagrin, enfin ; ne retenant plus ses larmes, délivrées par la lourde fatigue et la désillusion d’une fuite qui venait de lui échapper, elle avait longuement pleuré, sans pouvoir s’arrêter, avec une démence de tristesse peu commune : elle pleurait comme si elle avait été prise d’une quinte de toux. À présent que même son coeur pleurait à l’unisson avec ses pensées moroses, elle ne craignait plus d’être découverte par l’ennemi : la mort ne l’effrayait plus, elle ne ressentait ni colère ni haine, elle se sentait vide.

Lorsqu’enfin, un dernier sursaut de malheur avait fait vibrer sa gorge d’un ultime sanglot, la blonde avait essuyé ses joues pâles, désormais humides, avant de se redresser enfin. Elle fut un instant tentée d’attendre ici, assise contre le mur, que la mort vienne la quérir après la découverte de sa tentative échouée, mais un soupçon de vie persistait au fond de son coeur, comme une étoile argentée éclairant le ciel noir de ses pensées. Regardant autour d’elle avec des yeux hagards, percevant à peine les cris joyeux du banquet qui lui semblait loin désormais, Dovna avait fait avancé de quelques pas, sans but désigné. Si elle retournait à l’intérieur, les fer-nés comprendraient sans nul doute qu’elle avait essayé de les fuir… Mais si elle restait dehors, elle finirait également par mourir de leurs mains, si le froid ne l’achevait pas avant eux.

Persuadée que son destin était scellé en ces lieux, et encore sous le poids des émotions intenses qui venaient de la bouleverser, Dovna avait enlacé ses propres bras tout en grelottant quelque peu, marchant d’un pas lent pour rejoindre les escaliers qui se trouvaient non loin, et sur lesquels elle était retombée sans un bruit. Qu’importe si des soldats passaient ici, de toute façon, elle n’avait plus la force de lutter pour leur survivre ; vide ou sereine, puisqu’elle avait du mal à discerner les deux, l’esclave avait posé son regard sur la mer, au loin, laissant son âme se noyer en ces flots mélancoliques. De sa position, la mer semblait être une immense tâche d’encre noire, avec laquelle la lune scintillante flirtait : son reflet tordu lui renvoyait une image chimérique, donnant l’impression que l’astre de nuit caressait les vagues quand celles-ci lui murmuraient des mots suaves.

La mer lui semblait loin, et si proche à la fois.
Comme la liberté qu’elle avait cru saisir, mais qu’elle n’avait pu attraper.

Le décor silencieux, à peine froissé par les mouvements des eaux calmes qui s’étalent comme un tapis de remous d’encre noire, tout juste secoué par le vent salé qui vient répandre le froid sur les corps décharnés, lui fait à présent face ; elle observe le paysage de nuit, le tableau hypnotique qui lui offre un répit inattendu, et ne trouve qu’une beauté malheureuse aux choses qui l’entourent, comme si la tragédie entravant sa liberté depuis quelques jours avait infecté les éléments autour d’elle. Il ne reste donc plus rien. La joie de son enfance s’est dissipée quelques parts dans les crevasses des coups reçus, et l’espoir d’une vie meilleure lui apparaît alors comme une pierre perdue, jetée au-dessus d’un puits bien trop profond pour qu’on puisse en discerner le fond dans les ténèbres. Un sanglot fait tressaillir sa gorge à cette pensée : elle ferme les yeux en pressant ses lèvres l’une contre l’autre, frissonnant à peine aux assauts des bourrasques furieuses venant mordre sa peau blême, de même sorte que si elle était devenue une statuette de marbre, forgée pour résister aux affres du temps. Mais c’est un leurre : il ne reste plus rien. En elle, en silence, quelque chose vient de se briser, peut-être. La violence endurée, la douleur muette, le désespoir sévère, la tristesse accablante, tout se mélange en son coeur qui palpite d’une humeur maussade ; la ruine d’une âme en train de se noyer.

Le naufrage de ses pensées est interrompu par l’arrivée d’une silhouette massive qu’elle pense reconnaître, mais elle n’a guère la force de s’enfuir pour lui échapper malgré la menace évidente qu’il représente à lui seul ; sans ciller, sans larmoyer, elle tourne d’abord son profil pâle vers lui pour l’observer, sans fausseté, sans méchanceté, sans crainte. Elle le voit, il la regarde ; elle chasse la peur, elle contourne la méfiance, elle fait barrage aux préjugés qui pourtant sont durement construits dans son crâne, et lui répond d’une voix blanche, lâchée dans un aveu abrupt : « Si. » Est-ce qu’il va la ramener de force dans la salle du banquet ? Va-t-il dire à l’usurpateur, se nommant lui-même Seigneur de cette terre, qu’elle a essayé de s’enfuir ? Va-t-elle mourir ce soir ? Elle y songe, mais le cerceau machiavélique qui tourne autour d’elle ne lui donne même pas la force de résister à cette idée. Son coeur, son coeur fragile qui s’émeut si facilement, son coeur si simple qui peine ce soir à tenir la cadence d’une émotion contrastée par tant d’autres, est épuisé ; si la mort doit venir le quérir, il se résignait, dans son linceul formé par sa cage thoracique, a arrêté de battre, a se figer dans l’éternité. « Si. » Répète-t-elle en baissant finalement ses yeux bleus sur ses mains écorchées, se rendant compte qu’elles lui faisaient mal. Anesthésiée, l’esprit voguant sur les vagues au loin, elle enfouit ses paumes dans les pans de sa robe déchirée tout en enfonçant davantage son menton dans son cou, dans une chimie de la douleur qui l’oblige à se replier sur elle-même pour tenter de se protéger du monde, des autres, du monde des autres. Il parle du froid et elle en prend enfin pleinement conscience, frémissant et grelottant à ses côtés en fronçant légèrement ses sourcils au-dessus de ses yeux clairs, comme si la monstruosité de l’instant venait de lui sauter au visage. Dovna entend ce qu’il lui dit et quelques larmes échappent à sa vigilance, glissent de ses paupières et roulent sur ses joues en silence, par ce mécanisme traître qui dévoile ce qu’elle a su garder indemne durant tout ce temps, comme si elle était en train de se fendre, de plier, de ployer, de se briser en mille morceaux sur cette marche d’escalier, juste à côté de lui, lui si beau, si fort, si grand, si puissant. Un sourire impétueux aux lèvres, comme l’ultime élan de courage et de vie, elle tourne à son nouveau son menton vers le Salfalaise pour lui dire, d’une voix plus claire mais néanmoins résignée : « Si ce n’est pas le froid qui me tue, ce seront les vôtres. Je crains davantage le fer de vos épées que la morsure du vent. »

Bien plus de valeur vivante que morte. Oui, une valeur d’esclave. A la lumière argentée de la lune qui les couvait, le sang battait vivement sous sa peau transparente, décriant furieusement l’indignation qui ne franchissait point ses lèvres scellées. Jamais pareilles émotions, pareil désarroi ne l’avaient envahie : un voile, d’angoisse et de colère mêlées, brouillait sa vue et l’envie lui prenait de s’emparer du premier objet que ses doigts tremblants trouveraient à tâtons pour le lancer à la figure du guerrier, pour seule réponse au sous-entendu infâme qu’elle pensait avoir décelé dans sa phrase. Mais la maîtrise de soi était toujours de mise chez elle, étant le fruit d’une éducation patiente et rigoureuse : effrayée par l’ampleur des sentiments qui l’habitaient si soudainement, la violence ne seyant pas à un tel être de douceur et de complaisance comme elle, Dovna redressa son buste sans se départir de son calme, le front plissé par la confusion.
« Si vous le dites, Monsieur. »
Était-elle parvenue à articuler en desserrant les mâchoires, sans grande conviction aucune ; n’étant que trop peu habituée à se faire entendre, ayant assimilé le fait qu’il n’était point décent de contrarier un homme, Dovna s’était contentée de baisser le menton en mordant furieusement l’intérieur de sa joue. Quoique la clarté de ses yeux était encore un peu brouillée par la détresse, la jeune femme songea qu’il ne valait mieux pas lui présenter l’étal de ses malheurs, ni se plaindre de sa condition devant lui, redoutant sa colère et ses moqueries.
ㅤㅤEssayant de calmer la torpeur de ses émotions agitées, elle s’était saisie d’une plume grise tombée précisément à ses pieds, la glissant entre ses doigts pour caresser machinalement la paume de sa main avec celle-ci. La plume fragile, maniée d’une main au mouvement mécanique, creusait un sillon régulier dans les longues lignes de sa paume, détournant doucement, pour un temps seulement, son attention des maux qui la frappaient.
« Plait-il ? »
Demande-t-elle d’une voix soufflée en levant son menton vers le guerrier, un instant atterrée par ce qu’il venait de lui dire ; mais il n’attendait guère ses interrogations et s’éloignait déjà à grandes enjambées, la laissant seule sur les marches en pierres grosses. Aller avec lui, mais où donc ? Debout, le coeur entremêlé de soubresauts, elle s’était retournée pour jeter un regard en arrière puis vers le fer-né, ne sachant que faire. Nerveuses, ses mains se serraient en poings puis se tendaient tandis qu’elle réfléchissait à toute vitesse, hésitant longuement avant de s’élancer à sa poursuite en tenant les pans de sa robe pour courir avec plus de rapidité, songeant que la bienséance ne lui envolerait pas de dévoiler un peu plus que ses chevilles frêles.
« Attendez-moi ! »
Ordonna-t-elle d’une voix essoufflée tout en se rapprochant de lui, ne pouvant s’empêcher de jeter des regards en arrière, car craignant d’être repérée dans sa fuite. Enfin, était-elle toujours en fuite si elle était accompagnée d’un fer-né ?
ㅤㅤApercevant, au loin, les hommes postés à la surveillance du port, Dovna avait mordu le coin de sa lèvre tout en se décalant sur le côté pour être dans son dos, une vive inquiétude glaçant de nouveau ses traits. De ses deux petites mains écorchées, aux doigts longs et fins, Dovna avait attrapé le bras puissant de Tyldr pour lui intimer un élan de résistance, l’obligeant à s’arrêter de marcher pour lui dire, d’une voix quelque peu tremblante :
« Où… Où allons-nous, Lord ? » Comme cela n’était guère sa principale préoccupation elle avait poursuivi, d’une voix plus fluette, presque défaitiste : « Ils ne me laisseront pas passer… »