L'archipel des dix milles rois est connue pour abriter des guerriers redoutables ayant fait de ces îlots un lieu mélangeant le sang et l'acier, le fer et le sel, réalité et légende. On croit connaître tout de cette terre aussi pauvre que stérile et pourtant elle prolifère d'ingrates et lugubres créatures sous la domination de la houle et de ses vagues aussi tranchantes que fracassantes. Celui qui réside sous les vagues semble vous cacher encore bien des mystères notamment sur l'un de ses plus fervent et morbide serviteur qui fut enfanté.

La naissance d'un nourrisson n'a rien de plus exceptionnelle que celle d'une laie mettant bas ses petits à l'abri du monde extérieure. Nous sommes le résultat d'un instinct de survie primaire, brutale et primitif. L'on me nomme Tyldr fils de Vidar. Au fil du temps se révèle en moi l'orgueil et l'ambition que mon défunt père portait en lui, ce même regard, ce même sang tambourinant contre mon portail mais, je ne suis pas mon père. Je ne suis qu'un prolongement de son être, une partie de lui vit en moi, respire, saigne, combat avec moi chaque jour depuis que j'ai ouvert les yeux sur ce vaste et macabre monde qui est le nôtre. Un jour mon père me demanda, « Pourquoi souhaites-tu te battre ? Qu'est ce qui te pousses à te battre ? » je n'avais jamais réellement réfléchis à la question auparavant et j'avouais ne pouvoir y répondre que par une réflexion gauche et simple. Pourtant bien après sa mort, son questionnement hante mon esprit et accapare mes pensées.

Le nom de la maison Salfalaise raisonne à travers les cryptes et l'Hydre abyssale fait retentir son cri strident et cauchemardesque aux esgourdes de leurs ennemis. Dans l'ombre une silhouette surgit des tréfonds. Ses mains calleuses tapissées de limailles de fer et de sel le long de son corps témoignent de sa dévotion au Dieu noyé. Si son nom évoque une longue et durable lignée son patronyme lui n'inspire pas encore autant de prestige, de gloire ou de renommée. Pourtant n'est-il pas là le but ultime d'un guerrier fer-né ? L'acharnement de toute une vie pour enfin mourir et arborer une dernière fois son regard sur les embruns s’imprégnant du sable des Îles de Fer ?  Non il est encore trop tôt pour penser ainsi.

Je suis un fils, un frère, un amant. Je suis un prédateur, un guerrier, un fer-né. Quand les moissons seront récoltées dans le sang et que l'océan déversera ses flots brûlants et bouillonnants, je me tiendrais au devant de nos assaillants. Mes yeux perçants fixent l'immensité des reliefs, battisses, masures formant notre maison, notre foyer. Voilà pourquoi je me bats mais, cela ne suffit pas, je ne peux me satisfaire de ça. Lorsque mon père fut tué, j'ai compris l'étendue de la tâche de gouverner à sa place. Une chose, une seule et unique chose. Le pouvoir est toujours dangereux. Il attire le pire et corrompt le meilleur. Mon père l'apprit à ses dépends et sa mort m'amène à prendre un chemin aussi tortueux et sanglant. Tout au long de ma vie, de mon enfance et de ma jeunesse je n'ai juré que par l'Antique voie et ses fondements, le Dieu-Noyé et la preuve irréfutable de son existence. Voir notre peuple vivre et périr dans un destin glorieux et sans précédent. Conquérir et piller royaumes et terres était un rêve que nous pouvions presque toucher du bout, des extrémités de nos doigts. En cela j'y crois plus que tout.

Le pouvoir est donné à ceux qui sont prêt à s'abaisser pour le prendre. La maison Chenu a longtemps prit une place prépondérante au sein de la caste guerrière et ses nombreux projets d'invasions et de raids furent souvent couronnés de succès avec force et détermination. Pourtant tout cela ne profite qu'à une seule et même maison, laissant aux autres bannerets conciliants et loyaux le loisir de se battre pour récupérer les restes de celui que l'on surnomme « La Poigne » si se n'est pas pour quelques miettes. Le temps passe et je sens monté en moi un nouvel orage prêt à déverser ma haine, ma colère et une malveillance jusqu'ici insoupçonné. Le vent porte les prémices du changement. On peut le ressentir dans l'air. Le souffle battre les feuilles mortes de l'automne jusqu'aux pétales des fleurs sauvages du printemps. Autrefois je pensais vivre et mourir dans des contrées abruptes et froides, là ou mon peuple naquit et vécu pendant des centaines d'années. Aujourd'hui j'aspire à quelque chose de plus grand, quelque chose qui me dépasse certainement. Le rassemblement que donna Harwyn Chenu laisse les autres maisons sur une note d'aigreur et un état d'esprit plus âpre à suivre bêtement cet homme que nous nommions encore chef fut un temps. Nous avons le choix et comme beaucoup ce jour là ma maison déclina l'offre de rejoindre la prochaine expédition mené par la maison Chenu et ses vassaux. Nul doute que la colère qu'il exprima face à nous ne s'acterait pas bientôt de conflits internes imminents. Je suis prêt à me battre, à prendre la place qui me convient de tenir et peut-être bien plus encore. Tremblez en entendant mon nom. Les tambours raisonnent en moi telle le grondement de l'Hydre qui peu à peu s'éveille et fulmine d'une indescriptible colère. Cela fait trop longtemps que nous regardons ce monde tourner, trop longtemps que ces contrées qui sont nôtres convoitées par ces langues vipérines qui nous ressemblent et qui sont si différents dans leur vision commune du futur. Je ne suis pas effrayé par la mort, je ne la crains pas car elle fait partie de moi. Que laisserais-je derrière moi une fois mort ? Seul l'avenir me le dira.