Le soleil se reflétait sur les colonnes du palais des Malaenor en Valyria. À cette heure, la Cité était encore très animée. Les aristocrates valyriennes se promenaient, escortées par quelques domestiques, dans les beaux quartiers de la ville, tandis que dans le quartier populaire, la foule se pressait aux innombrables boutiques et échoppes. Négociants et marchands vendaient des produits venant du monde entier, d'Essos à des produits plus exotiques et plus luxueux les uns que les autres, certains tout droit en provenance de Dorne. Dans une des chambres de ce palais, loin du tumulte des hommes, un cri résonna entre les murs. Les cris d'une petite fille quand elle insuffla pour la première fois de l'air dans ses poumons. Une domestique accourait dans la chambre, apportant une étoffe pour couvrir l'enfant. La mère serra ce petit être contre son cœur, murmurant du bout des lèvres son prénom. Rhaelys. Comme son arrière grand-mère. Elle était la dernière née, son frère étant bien plus grand qu'elle, portant à lui tout seul le poids des responsabilités sur ses épaules. Celui d'assurer la pérennité des Malaenor quand il devrait succéder au patriarche.

Les premières années de sa vie étaient sans doute les plus heureuses de toute son existence. Le temps de l'insouciance, le temps de l'innocence et des jeux. Même si son frère ne jouait pas avec elle. Elle était une fille et lui préférait se battre avec les autres garçons. Les semaines étaient douces et tranquilles, rythmés par les banquets, les réceptions entre les différentes familles de la haute société valyrienne. Rhaelys se souvenait des heures passées dans les jardins, à observer la nature, à s'émerveiller des cascades qui semblaient surgir de derrière un bosquet. Le chant des oiseaux, le clapotis de l'eau dans les fontaines, c'est de ça dont elle se rappelait quand elle se remémorait sa terre natale, celle que la famille avait dû quitter pour ne jamais y revenir quand le Fléau frappa Valyria, rayant presque cette civilisation de la surface du monde. Rares étaient ceux à en avoir réchappé. Leur monde s'était effondré, la plus grande civilisation avait chuté. Des milliers d'années de savoir et de connaissance perdus à tout jamais. Et plus aucun dragon. C'était donc à ça que ressemblait la fin. Elle, elle était encore jeune pour comprendre tous les détails. Mais elle pouvait se vanter de savoir observer, voyant la lueur qui brillait dans le regard de sa mère qui lui raconta tout. C'est cette même femme qui lui avait transmis ses valeurs, lui avait appris tant de choses. Elle et les précepteurs engagés pour son instruction. Longtemps, elle avait pensé à ce qu'elle avait laissé derrière elle. Le reste de sa famille, des amis et des connaissances. C'était une chance que les Malaenor aient gagné Volantis avant que le pire ne se produise.

Mais Rhaelys avait le mal du pays. Elle ne se sentait pas chez elle. Alors elle se perdait durant de longues heures, rêveuse, cherchant à retrouver les souvenirs de tout ce qui faisait la beauté de Valyria. Son architecture, ses splendides jardins conçus en harmonie avec les brillants palais qui faisaient la fierté de leur civilisation. On l'appelait alors pour qu'elle se pare d'une robe. Son père recevait des délégations. Bien sûr il n'y avait pas le faste mondain de Valyria mais cela n'était pas si différent. Faire bonne impression, être jolie et surtout ne pas faire honte à sa famille. Son père qui continuait ses affaires, cherchait d'autres prétendants, maintenant que les plus grandes lignées valyriennes s'étaient éteintes, ou presque. Jugeant qu'aucun prétendant n'était en mesure d'épouser sa fille, il décida de réinstaurer une très vieille tradition des familles valyriennes. Un mariage incestueux. Rhaelys devrait épouser son frère et engendrer une nouvelle génération de purs valyriens. Ainsi, le lignage ne serait pas corrompu par des déviants ou des bâtards. Rhaelys n'avait pas son mot à dire, se soumettant aux traditions et aux coutumes de son peuple. Elle n'avait pas à se poser la question, c'était quelque chose de presque naturel. Et au fond, son frère était probablement un meilleur parti qu'un inconnu dont elle ne savait rien, avec lequel elle devrait vivre.

C'était après une étouffante soirée et un autre banquet, un de plus, que sa vie bascula. Etendue sur son lit, elle entendait à l'extérieur des cris. Si elle n'y prêta pas attention, elle commença à s'en inquiéter seulement quand les échos se rapprochèrent. Elle croyait entendre les échos de citoyens festifs et jouasses. Mais de plus près, c'était de la rage et de la colère. Des hurlements déchiraient la nuit. Se levant hors de son lit, elle s'avança vers le balcon, apercevant toutes ces torches qui se dirigeaient dans la direction de leur résidence. Paniquée, Rhaelys se dirigea vers le couloir quand elle entendit des premiers cris et d'autres hurlements. Son frère passa devant elle, lui intimant l'ordre de se cacher et de ne pas sortir, une épée à la main. Elle lui demanda ce qu'il se passait mais elle n'eût pas de réponse. Alors elle se cacha sous son lit, terrorisée, retenant ses larmes pour ne pas faire de bruit. Mais des pas se rapprochaient, entendant le bruit contre les marches de l'escalier qui menait aux chambres. Elle ne le savait pas mais déjà son père et sa mère étaient morts.

« Cherchez-là ! Elle ne doit pas être loin ».

Aussitôt, elle entendit des bruits de pas dans sa chambre et celui du saccage. On renversait les meubles. Un rire guttural se fit entendre et soudain on l'empoigna, la tirant par le pied. Plusieurs hommes se jetèrent sur elle pour l'immobiliser, tandis qu'un autre, celui qui semblait donner les ordres arrachait sa robe, avec de mauvaises intentions. Elle fut plaquée au sol et tandis qu'elle se débattait en vain, le visage de l'homme se rapprochant du sien. Des larmes coulaient sur ses joues, alors qu'elle implora et supplia. Elle pria les Dieux de lui venir en aide. C'est alors que surgit son frère dans sa chambre, dont la lame perfora le torse de l'homme au-dessus d'elle, l'éclaboussant tandis qu'elle chercha à se dégager de sous son poids.

« Cours, Rhaelys ! Ne te retourne pas...»

Elle avait fuit aussi vite que ses jambes lui permettait. C'était la dernière chose qu'elle avait entendue. Prenant l'escalier, elle n'eût pas le temps de s'arrêter et de s'apitoyer sur les dépouilles gisantes de ses parents, étendus sur le sol, baignant dans leur sang. Les murs en étaient aussi couverts. Elle avait fuit la demeure, courant le plus long possible dans sa tunique déchirée, ignorant où aller. Elle fuyait les bruits, changeant de direction dès qu'elle entendait des échos de voix provenant d'au-devant des tavernes, dès qu'elle voyait la flamme de torche. Ainsi, elle ne rencontra pas de gardes sur son chemin, s'enfonçant dans l'obscurité, jusqu'à être complètement perdue. Seule, livrée à elle-même, sa respiration haletante, elle ne pouvait pas croire ce qui venait d'arriver. Elle ne pouvait retenir ses larmes. Prise d'un sursaut en entendant des bruits lointains, elle décida de se cacher dans un grenier, priant pour que personne ne vienne la chercher. La cave succéda au grenier alors que la jeune fille était terrifiée, passant de longues heures dans l'obscurité, dans le silence le plus complet, guettant le moindre son suspect. Sortant car la faim la taraudait, elle se fondait dans le décor des bas-fonds où elle ne s'était jamais aventurée. Il y avait des jeunes de son âge, bien que la plupart étant tous plus âgés qu'elle. Des gamins des rues. Elle chercha à les imiter, n'ayant pas le choix pour survivre que le vol à l'étalage. Elle ne pouvait pas clamer être une valyrienne dans cet endroit malfamé. Ce serait trop dangereux. Sa maigre pitance étant un quignon de pain, elle se réfugia au détour d'une ruelle pour l'avaler quand elle retomber sur les gamins des rues, un groupe de six dont une fille qui la regardait avec des grands yeux. Elle l'interrogea et Rhaelys ne pût répondre que maladroitement à ses questions, ayant du mal à expliquer ce qu'elle faisait là. Méfiants, les gamins la tolérèrent dans leur groupe, car la fille qui semblait avoir une grande influence se portait garante d'elle. Rhaelys donna le nom de Falka. Le premier prénom lui étant venu à l'esprit. Elle ne pouvait pas prendre le risque de leur dévoiler sa véritable identité, ne soupçonnant pas qu'une valyrienne traînait avec eux alors que sa place était dans les beaux quartiers, aux abords du palais.

De cette jeune femme, Rhaelys s'était éprise, dévoilant ce qui lui apparaissait comme des sentiments. Elle la guidait, prenait soin d'elle, s'assurait qu'elle ne manque de rien. Elle s'était attachée et cela semblait réciproque, même si ces sentiments trahissaient surtout une crainte affective de se retrouver seule et démunie. Elle repensait souvent à leur première fois, à ce premier baiser. Elle avait d'ailleurs encore du mal à mettre des mots sur ce qu'elle avait ressentie pour celle qu'elle avait finalement abandonnée après une longue route et de longues et chaudes nuitées à partager sa couche. Jetant un dernier regard à son amante, elle s'échappa avant l'aube et que les premiers rayons du soleil ne réveillent la petite troupe. Elle avait gagnée le port de Volantis, prête à embarquer sur le premier bateau qui la ferait quitter cet endroit. Elle n'avait pas vraiment de but. Elle ne pouvait se fier à personne et elle ignorait que d'autres valyriens avaient survécus au Fléau et se trouvaient à l'opposé d'où son destin la dirigeait. Un navire de marchandises était sur le départ quand elle monta à bord, confrontant le capitaine qui lui ria au nez. Il ne voulait pas d'une gamine à bord, encore moins d'une bouche supplémentaire à nourrir. Alors elle avait tendu sa bourse, contenant tout son butin, faisant la promesse de travailler aussi dur que les autres mousses à bord. Et sur le bateau, on la traitait comme tel. Elle n'était plus une petite princesse. À bord du navire, Rhaelys lavait le pont, nettoyait les cabines, préparait les repas. C'était son nouveau quotidien. Le navire faisait halte dans les ports, vendant ses marchandises, achetant des ressources alimentaires et repartait vers un autre port. La jeune femme ne voyait les cités que depuis le navire, rêvant de son ancienne vie si parfaite. Seulement le destin semblait décidé à se moquer d'elle. Le navire fut un jour pris à partie par des pirates des îles de Fer. Le combat ne dura pas plus de quelques minutes, les prisonniers alignés sur le pont. Un homme, donnait des ordres aux autres pirates et semblait décider du sort des captifs. Il avait exécuté certains qui n'opposaient pas de résistance. Quand vient son tour, elle ferma les yeux, en pensant que ce serait à son tour. On l'examina, l'homme saisissant sa mâchoire, regardant ses dents. Elle n'était pas malade alors on l'embarqua à destination des îles, ne voyant rien du voyage dans la cale avec les autres prisonniers.  

Au port où ils furent débarqués, Rhaelys fut séparé, dirigée vers une forteresse où commençait une nouvelle vie de servitude. Elle était l'esclave d'Alrik Timbal. Elle dormait sur une paillasse, à même le sol, en compagnie des rats et d'autres rongeurs qui envahissaient les lieux. Parfois, elle se demandait comment des rats avaient bien pu traverser les mers pour se retrouver ici. Certainement de la même façon qu'elle, transportés par les navires, quand ils étaient amarrés aux quais des cités pillées. Ses journées se résumaient à nettoyer, préparer le repas, servir son maître.

Deux ans avaient passés. Elle n'avait jamais cessé de penser à s'échapper. Cependant, c'était impossible. La mer rugueuse fouettait les côtes et les ruines de la forteresse. Les bateaux étaient toujours surveillés par des pirates. Tout ce qui avait changé, c'était son autonomie. Elle faisait un peu plus de chose, on ne la surveillait pas de près. En même temps, elle apprenait les coutumes des Fer-nés auprès d'anciens esclaves. Sa vie allait cependant prendre un léger tournant. Le fer-né, Alrik Timbal avait décidé de la prendre comme femme-sel. C'était la tradition sur les îles. Elle ignorait à quoi s'attendre mais l'homme, parti en guerre, devait déjà épouser une autre femme. Et elle ne savait pas si les mariages sur les îles pouvaient être pratiqués aussi rapidement. En fait, elle ne savait rien car l'homme était parti depuis longtemps. Elle était juste dans l'expectative, ressentant une appréhension, quant à son retour prochain à son domaine.