Je suis née et j'ai grandi auprès de ma mère, ma seule famille proche. Julina, de son prénom, était une servante auprès de la famille du Seigneur de Vivesaigues. J'ai grandis entouré des seigneurs, hauts membres de cette maison noble et de leurs gens. Du haut de ma taille d'enfant, je voyais le monde en grand. Je comprenais certaines choses, mais pas d'autres. Pourquoi n'avais-je pas de père ? Pourquoi les autres avaient un père ? Ma mère ne répondait pas à mes questions, elle disait qu'il était mort, mais elle ne me parlait jamais de lui.

Fils de servante, je me voyais vivre ma vie comme elle. Je courbais l'échine devant mes pairs et mes aînés, essayant de me faire oublier. Parfois, j'aidais ma mère dans ses tâches quotidiennes, essayant de rester auprès d'elle sans l'empêcher de faire son labeur. Lorsque j'avais du temps libre, je jouais dans la cour avec les autres enfants des domestiques, nous étions égaux. Lorsque je pris un peu d'âge, le nouveau seigneur ordonna à son mestre de nous instruire, pour nous apprendre à lire, écrire et compter. Mère me disait que j'avais beaucoup de chance, car ses propres parents ne savaient ni lire, ni écrire. Bizarrement, je préférais les mathématiques à la poésie, la géographie à l'Histoire.

L'année de mes 12 ans me marqua pour toujours... L'épouse du Seigneur, Dame Madysen Tully me questionna sur l'identité de mon père, que j'ignorais. C'était étrange, car d'ordinaire, elle ignorait complètement mon existence. Le Seigneur, son époux venait parfois me parler, nous échangions quelques paroles avant qu'il ne s'en aille. Je l'aimais bien. Quelques jours après cette étrange discussion, le Seigneur me convoqua avec ma mère dans son bureau. Il avoua être mon père, qu'il avait aimé ma mère mais que leur amour était impossible. À la fin de la discussion, il m'octroya un nom de famille... Rivers. J'étais chamboulé... heureux, surpris, un peu en colère et reconnaissant. En sortant de la pièce, je n'étais plus un enfant sans père, mais un enfant qui devait prouver sa valeur. C'était ça maintenant mon rêve... Je voulais prouver à mon père qu'il pouvait faire de moi son héritier, je voulais être son fils, être un jour un seigneur, être un véritable noble.

Samwell Rivers, un nom qui sonnait déjà mieux à mon oreille. Le Mestre m'installa dans le château, dans une chambre rien qu'à moi. Je ne partageais plus ma chambre avec ma mère, elle me manqua beaucoup la première nuit. J'avoue avoir pleuré toutes les larmes de mon corps en songeant qu'elle était loin de moi... J'avais peur... Seul dans cette chambre qui ne m'appartenait que depuis quelques heures... Lorsque je me levais le matin, je n'étais plus le petit Samwell, mais Samwell Rivers. Mes amis s'inclinaient devant moi maintenant... ils ne pouvaient plus jouer avec moi comme avant... Ils devaient répondre à mes demandes, me traiter avec respect, et gare à celui qui m'éclabousserait de boue. Je n'aimais pas ça, je n'aimais pas être traité différemment de mes amis. Je me sentais entre deux eaux... Ni vraiment noble, ni vraiment roturier. Je n'aimais pas laisser du travail aux domestiques, je rangeais moi-même mes affaires, je pliais mes linges, je nettoyais ma chambre, je faisais mon lit... Je faisais les mêmes tâches que mère était obligée de faire toute la journée pour les Tully. Je ne pouvais pas supporter de leur donner du travail supplémentaire par ma présence.

Une nouvelle journée commençait en tant que Rivers, le maître d'armes avait été convoqué par le Seigneur mon père pour devenir mon instructeur. L'homme n'était pas tendre, mais il me forma durement sur les années pour faire de moi un écuyer prêt à s'occuper d'un noble de la maison Mallister, parent de ma belle-mère, l'épouse du seigneur Tully. J'appréhendais beaucoup de me retrouver face à un Mallister... J'étais jeune, mais pas stupide. Mon père avait trompé son épouse née Mallister avec une modeste servante, apportant de la honte sur leurs maisons. Et moi... J'étais le petit bâtard né de cette union impossible, preuve incontestable de la faute de mon père. Mais le noble ne m'en porta pas rigueur, il me traitait sévèrement mais jamais injustement. Rien n'était facile à ses côtés, mais ces quelques années furent très instructives, mêlant politique et affrontements répétés avec les fer-nés et pirates. Peu d'écuyer peuvent se vanter d'avoir autant combattu que moi, c'est une expérience plus qu'utile pour apprendre à mieux connaître ses chiens des mers. J'avais la fougue de la jeunesse, l'envie de me battre, de faire mes preuves, de devenir un seigneur respecté et de courir les jupons des jeunes vierges. J'aimais déjà les femmes, mais jamais longtemps. Un baiser, une nuit, puis c'était terminer. Je ne pouvais pas m'attacher à l'une d'elles, trop roturières, des amours sans avenir...

Jeune homme fraîchement sur sa vingtaine, je retournais auprès de ma famille à Vivesaigues. Mon Seigneur, mon père, m'accueillait à bras ouverts pour faire de moi un chevalier, un vrai grâce aux recommandations de mon précédent tuteur. J'étais heureux, j'étais reconnu comme pouvant porter l'épée au nom du Conflans, mais sans être encore reconnu comme un Tully. Mon père m'envoya un peu partout sur le territoire, pour mater brigands et rebels, usant autant de mon épée que de mon cerveau. J'étais le représentant de mon seigneur face à certaines maisons nobles du Sud, qui préféraient servir les Orageois que leurs ancêtres. J'espérais voir un jour le Conflans reprendre la liberté, son pouvoir des mains de l'Orage. Mais à choisir entre les fer-nés et l'Orage, mon choix était vite fait. Il n'était pas l'heure de la rébellion.

J'honorais mon père, gagnant ses louanges, mais jamais son nom. Je ne comprenais pas pourquoi il tardait à me légitimer... Mes efforts étaient-ils encore trop maigres ? Que devais-je faire de plus ? Je savais que ma belle-mère me haïssait, me détestait... J'étais la preuve vivante que son époux l'avait trahi. Mais elle était incapable de lui donner un fils. Peut-être devais-je simplement attendre que l'âge l'emporte dans l'infertilité ? J'avais au moins la chance d'être apprécié par certaines de ses filles, de véritables soeurs pour moi.

Les journées d'un chevalier n'avaient rien de facile ou de reposant. Les routes étaient de moins en moins sûres, nous obligeant à escorter des convois d'un fief à l'autre. Chaque jour, nous escortions des convois marchands, civils, militaires ou parfois simplement des voyageurs. Le sang coulait à flots sur les routes du Conflans, faisant trembler les pauvres comme les riches. Sous les ordres de mon Seigneur, nous avons pris contact avec la maison Nerbosc pour monter une embuscade avec leur aide. J'ai rencontré Desmond Nerbosc alors que je traversais le château pour rencontrer Dame Nerbosc, qui était finalement absente car actuellement à Accalmie. Nous étions différents, mais nous avons sympathisé malgré son jeune âge. Nous avons travaillé avec brio pour montrer notre plan de faux convois pour mener une embuscade, mais aucun bandit ne mordu à l'hameçon. Nous avions seulement quelques pistes, dont certaines qui menaient vers le Seigneur Frey et d'autres petits seigneurs, mais aucune preuve concluante.

La tragédie emporta notre père, tué dans une embuscade par des brigands ou des traîtres au retour d'une entrevu avec le Roi Arrec Durrandon. Il laissa derrière lui une lettre, cacheté de son sceau, annonçant ma légitimation... J'étais maintenant un Tully, l'héritier de notre famille, mais il n'était pas là pour le voir, pour me l'annoncer lui-même. Son épouse ne pouvait pas intervenir sur cette décision, mais quand bien même je ne l'aimais pas... Jamais je ne la chasserais de notre foyer, ni elle, ni ses filles.

Quelques mois plus tard, un visage que je reconnus immédiatement s'imposa à moi, une ancienne conquête, une jeune fille devenue adulte. Je pense pouvoir maintenant déclarer qu'il n'existe pas de bonne façon d'annoncer à un homme qu'il est le père d'une fillette de 11 ans. C'était difficile à avaler... moi, le fils bâtard avait engendré une fille bâtarde... Une petite qui n'avait aucun sourire sur son visage, qui semblait manquer de beaucoup de choses... Je reconnus les cheveux roux de l'enfant... similaires au miens. Je ne pouvais pas lui refuser une vie meilleure. Elle était sauvage, et moi je n'étais pas prêt à être père. Elle me fuyait, et moi... je la laissais faire ce qu'elle voulait. Seul le temps nous apprendra à nous apprivoiser mutuellement, mais je dois la protéger d'elle-même, et du monde qui nous entoure.

Salvemer tomba aux mains des fer-nés. J'ai dû annoncer la nouvelle à ma belle-mère, elle avait perdu des proches... des membres de sa famille. Aujourd'hui encore, elle était chez elle, ici, à Vivesaigues, je lui ai rappelé qu'elle n'avait pas de crainte à avoir. Je ne suis pas un monstre, ni même un opportuniste ou un ingrat. Ses filles sont mes soeurs, mes très chères soeurs, et elle est à sa place de régente du château en mon absence. Elle ne m'apprécie pas, mais elle n'est plus que l'épouse de feu mon père. Elle n'aura plus d'enfants avec lui, pas d'héritier mâle. Je pense que nos tensions devraient disparaître avec le temps, je l'espère. Mais la présence des fer-nés m'inquiète de plus en plus, nous devons prendre les armes pour libérer Salvemer... Que fais l'Orage dans cette situation ? Nous devons nous rassembler !