Seuls ceux parlant la langue des ancêtres peuvent comprendre les légendes qu’ils racontent à Skagos. Ceux qui, en Westeros, se vantent de connaitre l’histoire de la grande île de pierre n’ont certes jamais foulé ces plages de sables noirs. Les mélodies voyageant avec les bardes parlent de géants, de sauvages, de sacrifices, de cannibalismes et de ces animaux fantastiques que l’on ne retrouve nulle part ailleurs. Leurs histoires ne sont pas toutes fausses, mais qui saurait vraiment les départir? C’est une longue histoire et elle n’est glorieuse pour personne. Elle se compose de meurtre et de ruses. À une époque où les anciens vivants en ces terres hostiles ne se distinguaient des loups que par leur apparence.

Les Stark avaient complètement détruit les ports et navires en imposant leur règne au-delà des côtes Nordiennes et subtilisant à nos Dieux leurs océans. Les récits racontent qu’après ce jour, tous pouvaient entendre dans les vallées rocheuses, au moment où la lune atteignait son zénith, la colère rugissante des divinités. Désormais isolés du continent, les ancêtres furent plus que jamais mis à l’épreuve. Sans commerce et raid, les hivers qui suivirent apportèrent famine et pestilence sur le peuple.

Sur Skagos, trois familles ont toujours dirigé à la manière d’un grand conseil. À Kinghouse, port et centre de commerce principal, les Magnar furent durement touchés par les assauts ennemis. Sans plier le genou, nul ne survivrait. À l’orée d’une autre attaque, Arne Magnar, Wilma Crown et Jorquen Stane furent obligés de signer un traité de paix qui tiendrait les pilleurs Skaggs loin des côtes nordiques. Afin d’assurer leurs allégeances, chacun d’eux fut contraint à accepter qu’un enfant par famille, ceux qui un jour prendraient place au conseil, soit emporté sur le continent jusqu’à leurs 16e anniversaires.  

Avant que les courants du Sud viennent déchainer les eaux de la Baie des Phoques, les pupilles de l’obsidienne quittèrent leurs nids de pierres pour rejoindre le grand continent. Asgord Crown, Myrea Stane et Askerna Magnar furent respectivement placés sous la tutelle de trois familles, les Bolton de Fort-Terreur, les Karstark de Karhold et les Stark de Winterfell.

La vie à Winterfell ne ressemblait en rien à celle qu’elle connaissait. Ici, les mœurs et le train de vie quotidienne différaient grandement de celui de Skagos. Tout autour, les grandes vallées enneigées donnaient l’impression d’être infinie. Loin des océans, les vents hivernaux ne brûlaient pas les peaux et à l’intérieur des remparts de Winterfell, on oubliait vite cette aridité saisonnière. En toute saison, les vivres abondaient, les tables étaient généreusement garnies de viandes rouges et d’aliments étranges. Les Dieux se montraient étrangement généreux envers ce peuple qui, lui semblait-il, ne leur donnait que peu de reconnaissance.

On apprenait aux enfants à écrire comme à lire avant de leur montrer à chasser, à pêcher ou à cultiver la terre. Tout le savoir de leurs anciens dormait sur le papier. Des murs entiers se voyaient décorés d’ouvrages variés et en leurs pages, toutes les questions trouvaient une réponse. Les Nordiens qualifiaient d’illettrés et d’inférieurs ceux qui, comme elle et les siens, ne savaient écrire ou lire.

***

Sous la lumière vacillante des bougies, les trois enfants avaient depuis longtemps dépassé leur couvre-feu. Avec la cadette des Stark assoupies dans ses bras, Askerna acceptait de raconter une dernière histoire à Rickon avant de souffler les chandelles.

« Tu veux entendre la légende du vieux géant? »

Chuchotait-elle dans cette langue qui lui était encore peu familière et une prononciation maladroite.

« Le géant passait un hiver à poser des collets et des pièges dans le but de prendre quelque animal. La lune était pleine et haute, brillant de tous ses feux, éclairant la neige et la forêt. Mais quelque chose brillait et scintillait de façon presque aveuglante, éclipsant l'astre. Entourée d'un halo de lumière, elle semblait irradiée. La figure se détachait peu à peu de l’horizon en prenant l’allure élégante d’un cheval. Le trappeur n'avait jamais vu une telle beauté. Sa crinière sombre scintillait tel un ciel étoilé.  En son front, une corne spiralée émergeait de son pelage généreux.

Rares étaient ceux qui dans leur vie avaient la chance de croiser le chemin d’une telle bête. Sa magie connue de tous et on racontait que sa corne pouvait faire d’un homme un Dieu et le rendre immortel.

Sans hésiter, le chasseur prit son arc et visa le cœur de la créature, la tuant d’une seule flèche. Le géant s’empara de la corne de l’animal et comme le disait la légende, il devint immortel.

Les années passèrent, et tous ceux qu’il avait connus vinrent à disparaitre. Dans la solitude, il erra sur Skagos pendant des milliers d’années en maudissant son immortalité. Puis, un jour, il arrêta de bouger, au milieu de la forêt, ses membres se transformèrent en racines, s’encrant dans la terre. Encore aujourd’hui son cœur bas sous l’écorce de ce géant arbre. Depuis ce jour, plus jamais une licorne ne fut tuée par un homme, car le géant était devenu le Dieu qui veillerait à jamais sur la forêt. »

***

C'était l'été, la seule saison où il était sage de naviguer sur l’eau de la Baie de Phoque. Les planches du navire gémissaient comme un vieil homme devenu trop faible et trop fatigué pour se lever de sa chaise. Un vent froid secouait les os raides des cordages à moitié gelés. Au-dessus d’eux, le ciel s'étendait à l'infini dans de sombres nuances de gris et, au loin, les sommets rocheux de Skagos se découpaient de plus en plus de la brume. Dans quelques heures, elle serait de retour chez elle et seule la vue de ce panorama accélérait les battements de son cœur.

Désormais, les zones de pêche abondaient, les ruines d’après-guerre appartenaient au passé. Kinghouse s’était entièrement reconstruit, plus grand et mieux protégé que jamais. En seulement 6 années, le paysage entier s’était métamorphosé. Sur la berge, amis et famille attendaient avec fébrilité l’amarrage du bateau Nordien.