Telle une nuée de serpent, le vent sifflait ardemment sur les puissantes roches. Malgré ces sons lancinant, l’homme gardait les yeux fermés en chuchotant des prières tout juste audibles. Face à lui, à même la pierre avait été sculptée une figurine. Celle-ci présentait les traits d’une femme au regard doux et bienveillant à la poitrine généreuse et au ventre rond. Au pied de cette statuette était présent un récipient rempli de sable, lequel était semblable à un por-épic tant il était piqué de part en part de tiges d’encens. Seules trois d’entres elles continuaient de se consumer avec lenteur. La fumée se mouvait avec indolence vers la femme de pierre. Deux coups retentirent sur la porte, faisant ouvrir les yeux du Lord. La porte s’ouvrit dans une gêne respectueuse. Trop de fois celle-ci avait été ouverte, trop de fois, il avait accouru croyant que son statut changerait… Mais les Sept s’étaient toujours cruellement rude avec eux. La mâchoire crispée, les mains serrées, il attendait la sentence des dieux par la bouche de son serviteur.

« Les Sept vous ont béni d’un fils Lord Wyl. »


Le petit garçon aux petites bouclettes noires se tenait droit, les mains dans le dos. Il suivait de ses yeux sombres la position du bâton en bois télescopique.

« Ce sont les Degrès de Pierre, l’ancien pont entre Westeros et Essos. C’est par cette route que sont arrivés à cheval les Premiers Hommes. Depuis la Cassure, il n’y a plus que des pirates sur ces îles. »

L’homme au turban ocre pointa un autre point sur la carte.

« Bourg-Cabane, la plus grande et la plus peuplée des villes de Dorne. Elle est située sur l’estuaire de la Sang-Vert, où de nombreuses péniches, barges et navires font commerce sur les rives. Du moins quand il n’y a pas de marées. »

Le bâton tapa de nouveau sur le tableau.

« Les Météores, le château de la maison Dayne. Il est proche de l’estuaire de la Torrentine, un fleuve très agité qui s’évase en langue de serpent et qui prend sa source dans la Mer du Crépuscule. La légende raconte que le premier Dayne arriva à cet endroit en suivant une étoile filante et y découvrit une pierre aux pouvoirs magiques. »

L’enfant se demandait d’ailleurs si ces événements avaient eu lieu. Il avait beau eu questionner les personnes à ce propos, jamais les réponses ne lui semblaient claires. Ainsi il pensait que cette histoire était à la fois vérité et mensonge à la fois. Cela ne l’empêchait pas d’imaginer un cailloux de flamme tracer un chemin dans le ciel.

« Excellent Musharaf* Ilyas. »
*”Honorable” en arabe, marques de respect en usage dans la noblesse.

Les petites perles obscures du garçon le toisait de bas en haut.

« Mudaris** Yunus, pourquoi portez-vous un turban ? »
**”Précepteur” en arabe

« Eh bien, de là d’où je viens, il est coutume d’en porter un. »

Fronçant légèrement un sourcil il répondit spontanément.

« Vous n’êtes pas dans le désert, vous êtes à Wyl. Et à Wyl on ne porte pas de turban. »

L’homme resta pantois devant l'aplomb du jeune garçon. Après quoi l’enfant était repartit s’asseoir pour lire un des dix livres présents sur la table. Le précepteur qui grattait encore sa barbe grisonnante vit le Lord Wyl à l’encadrure de la porte. Abandonnant son bâton de bois télescopique sur le rebord du tableau, il le rejoignit. D’un simple regard, le Lord l’intima de lui faire part de ses impressions.

« Il n’a que trois étés et il connaît déjà tous les reliefs, les faunes, les flores, les fruits, les villes, les histoires et les familles de Dorne. Votre petit Ilyas est un véritable petit prodige, je n’ai jamais vu un enfant apprendre aussi vite. »

Les bras croisés l’homme regarda sa progéniture de loin. Un sourire subtile en coin s’afficha sur ses lèvres.


« Bien de toute manière, j’ai des livres à finir. »

Répondit innocemment le jeune garçon. Il fit mine de se plonger dans un ouvrage traitant des légendes de Westeros. Il attendit quelques instants pour s’assurer d’être seul et alla vers la porte qu’il entrouvrit lentement. Il savait qu’on le croyait digne de confiance et d’un désintérêt total pour tout ce qui s’était tenu jusqu’ici, la naissance de sa soeur. Sous couvert de vouloir les protéger lui et sa soeur, leurs parents avaient strictement interdit tout contact entre les deux. Il n’était pas dupe, il savait à quel point ses géniteurs avaient du mal à concevoir un enfant, il faut dire que les serviteurs du palais ne sont pas très discrets, ni malins d’ailleurs.

Se faufilant à travers le dédale de couloirs de pierre aux arcs brisés, il était arrivé près de la chambre où “résidait” Sühan. Laquelle était surveillée par deux gardes. Il patienta, la relève ne devrait plus tarder et c’est à ce moment qu’ils seront le plus distrait. Les gardes voyant leur camarade s’esclaffèrent, heureux d’être libéré du fardeau qui les incombaient. Ils s’indignaient de faire telle besogne, était-ce une punition? Ilyas fronça les yeux, s’occuper d’héritiers de la famille Wyl était un honneur! Pour autant il n’oublia pas sa mission et en profita pour s’introduire dans la chambre. Une femme vêtue d’une robe de servante lui faisait dos, il s’approcha lentement.

« N’en parlez à personne et je n’aurai pas à rapporter à mère vos emprunts de bijoux. »

Fit-il en désignant un bracelet qu’il tenait en main. Tournant la tête, la jeune femme resta silencieuse. Un rictus de surprise et de résignation s’étaient emparés de son visage, elle ne pourrait prouver le mensonge du jeune garçon et elle ne voulait risquer sa place dans ce château. Il eut un sourire satisfait en coin et s’avança pour voir sa petite soeur que la femme tenait dans ses bras. Il n’avait jamais vu quelque chose d’aussi adorable et de fragile que ce petit bébé.

« Donnez la moi. »

Ordonna-t-il, malgré la réserve de la jeune femme, elle s'exécuta. Il plaça ses mains avec précaution et sentit sa petite soeur dans ses bras. Même si son visage se montrait neutre, il était émerveillé par cette petite chose.

« Salutation Sühan, je suis Ilyas ton grand frère. »

Le bébé le regardait avec attention et curiosité.

« Père et mère ne veulent pas qu’on se voit, mais tu vois je suis là. Je veillerai sur toi, ne t’en fais pas. »

Une grimace s’afficha sur le visage rond de sa soeur qui ressemblait fort à un sourire aux yeux du jeune Wyl. Il y répondit sans s’en rendre compte. Il caressa de son index la joue de sa soeur. Elle l’attrapa de sa petite main pour le porter à sa bouche pour le téter. Ilyas n’aima pas du tout cette bave sur son doigt, il se tourna vers la jeune femme.

« Je crois qu’elle a faim. Nourrissez là. »

Il lui rendit sa soeur et s’en alla.


Toute la matinée, Sühan avait été particulièrement perturbée. Absente, elle avait tout juste touché son assiette. Ilyas avait tenté de l’encourager à manger, mais elle se contentait de lui lancer un regard étrange. Elle lui demanda de rester avec elle et il s’y attela jusqu’à l’heure de son cours d’équitation, enfin cours, c’était surtout un défi. Il n’avait su résister au goût de la course. Il était simple pour un enfant de dix printemps de se laisser emporter par la compétition, surtout quand cela venait d’un subordonné ou était-ce lui qui avait lancé le défi ? Peu importe, son égo et sa réputation étaient en jeu et il était maintenant l’heure d’y aller.

« Reste, s’il te plaît. »

Fit-elle en le regardant avec désespoir.

« Je reviens vite Sühan. »

« C’est faux… Tu ne reviendras pas... »

Perplexe, il se demandait bien pourquoi tant d’insistance.

« Je reviendrai toujours et tu le sais. Maintenant cesse ton caprice. »

Il comprit rapidement son erreur. Les larmes aux yeux elle lui cria.

« Je ne veux pas que tu meures! Je veux pas… Je... »

Les émotions la submergeaient et des larmes coulèrent abondamment sur ses joues. Prenant conscience de son erreur, il la prit dans ses bras.

« Je suis là, je suis là. » Il lui fit un baiser sur le front. « Pourquoi es-tu si inquiète ? »

Entre deux renflements elle lui répondit. « Je l’ai vu Ilyas… si tu y vas, tu ne reviendras pas... »

Les mains tremblantes, les yeux rouges, la peau pâle… Jamais Sühan ne se metterait dans un état pareil si ce n’était pas aussi important. Il avait déjà remarqué certaines choses étrange chez sa soeur, elle semblait voir des choses que les autres ne voyaient pas comme si elle avait un pressentiment. Inspirant profondément, il lui sécha ses larmes.

« Je vais rester avec toi, c’est promis. »

Elle le serrait fort, lovant sa tête contre lui. Il avait conscience du tourment qu’il lui avait causé et ça il ne pouvait le supporter. La santé de sa soeur valait plus qu’une gloire éphémère.

Simulant un mal de tête il avait pu aux sorties et tenir compagnie à sa soeur qui commençait lentement à retrouver une certaine quiétude. Au dîner, Sühan avait montré un meilleur appétit, ce qui rassurait grandement son frère. Au cours du repas, ils apprirent qu’un accident était arrivé sur la route rouge. Un éboulement aurait pris pas surprise une cohorte de chasse, ne laissant aucun survivant. Ilyas fixa perplexe sa soeur, comment avait-elle sut ce qui allait se produire ? Savait-elle lire l’avenir ? En tout cas, il su sans aucun doute qu’elle venait de lui sauver la vie.


Les mains cramponnées à la rambarde de pierre, Ilyas scrutait un point aléatoire dans le jardin aquatique. En cet instant, il ne parvenait pas y voir le charme. Ses yeux reflétaient une colère froide et silencieuse. Il devait retrouver son calme rapidement, il ne pouvait s’absenter aussi longtemps, Elle le remarquerait et le jugerait sans nul doute. Dire que cette partie de d’Al Qirkat*** avait bien commencé. Comme d’habitude elle avait choisi les blancs, ce qui lui donnait l’avantage de commencer. Il avait bien engagé ses premiers pions, glanant de l’espace. La prise de risque était la base de son jeu, il n’hésitait pas à sacrifier quelques pions pour pouvoir éliminer trois, quatre autres pions. Cela donnait l’impression à l’adversaire de gagner batailles sur batailles et au moment où il comprend sa méprise, il est déjà trop tard. Aussi n’avait-il planifié qu’Elle ne respecte pas les règles ou plutôt ses règles. Ce jeu répandu dans Dorne ne connaissait pas les mêmes règles d’un lieu à l’autre. Les Rhoynars permettaient la possibilité aux pions de reculer, alors que pour les Andals n’admettaient que les déplacements en avant. Ainsi le jeu s’était retourné contre lui sans qu’il ne puisse rien y faire.
***un jeu de société arabe semblable au jeu de dame

« Alors remis de cette partie d’Al Qirkat? »

Par les Sept, il ne l’avait pas entendu arriver. Il lui sembla qu’elle replantait le couteau dans la plaie. Il desserra ses mains et tourna la tête avec un sourire.

« Je me suis perdu sur le charme de cette vue. »

Fit-il en esquivant la question et en flattant au passage son interlocutrice.

« Il est vrai que c’est le plus beau jardin de Dorne, qui ne serait pas émerveillé ? » Marquant un temps, elle renchérit d’un sourire qui déplut au jeune garçon.  « La prochaine fois je vous ménagerai. »

Ravalant sa rage, il inclina juste la tête envers Sélénia. Ces deux enfants étaient semblables, de grandes responsabilités les attendaient et ils mettaient du coeur pour répondre aux attentes de leurs parents. Et pourtant… leurs similitudes les divisaient.


Le jeune adolescent marchait tranquillement dans les couloirs. Il était différent des enfants de son âge, en effet, bon nombre d’entre eux aurait couru à perdre haleine après un tel forfait. Celui-ci avait été prémédité, silencieux et accompli avec brio. Personne ne saurait le soupçonner, on le connaissait droit, respectueux et docile malgré son caractère prononcé. Surtout qu’il n’était point le seul dans cette histoire. Ses comparses avaient simulées une violente dispute à propos d’une bousculade, ce qui avait détourné l’attention des personnes qui tenaient le lieu du méfait. Pendant ce temps, Ilyas s’était introduit sans mal et dissimulé son butin dans un pli de tissu de ses vêtements.

Après le signal, à savoir le chant tinté de la mésange à cape bleu, ses complices firent la paix dans une accolade cordiale. Maintenant il n’avait plus qu’à retourner au point de rendez-vous. Leur antre était des meubles tapissés d’étoffes aux couleurs chaudes qui formaient une sorte de tente. Mais attention, pas la vulgaire tente de bazar, une tente spacieuse digne d’une princesse.

« Droite est la lance qui vise le soleil... »

« … et courbé est le reptile qui mord le pied. »

« Tu peux entrer. »

Repoussant le tissu, il se courba pour rentrer. Naerys et Sühan étaient assises en tailleur. Les yeux remplis d’impatience et d’espièglerie. Il sortit le butin qu’il déposa sur le sol.

« Une belle prise. »

« C’était presque trop facile. »

« Il est temps de fêter notre victoire. »

Ils rompirent le Khabaytun, un pain à la croûte légèrement croustillante et la mie généreuse parsemée d’olives. Il était encore tout chaud et les trois comparses n’en firent qu’une bouchée.


Le pas lents, les deux hommes se dévisagèrent. Le plus jeune paré d’une chemise orange semblait agité et impatient, tandis que l’autre au sarouel jaune était d’un calme déconcertant. Leurs marches formaient un cercle invisible. Le plus âgé laissait la première attaque à son opposant qui ne se fit point attendre. Il brandit son épée d’un coup frontal puissant qui était surtout là pour impressionner et donner le ton. Mais son ainé l’esquiva d’un quart de pas et porté un coup de pied dans les côtes. Cela entraîna l’agacement de son adversaire qui reprit son équilibre pour porter un second coup latéral. Il le para et contre attaqua aussitôt. Les épées s’entrechoquèrent dans une danse gracieuse et aérienne. L’opposant à la chemise démontrait une détermination admirable et s’entêtait à frapper le plus vite possible. Ainsi il gagnait du terrain sur son adversaire qui semblait plus subir ces tapes répétées. L’opposant au sarouel reculait dangereusement vers un poteau de pierre. Il se baissa au dernier moment pour esquiver le coup de son adversaire dont l’épée ricocha contre le poteau, faisant vibrer sa lame entre ses mains. Le plus âgé n’attendit pas plus longtemps pour agripper le poteau, se donnant de l’élan pour frapper de ses deux pieds le buste de son concurrent qui fut propulsé à quelques pas. Continuant sa course, il fit glisser son épée sur le sol qu’il remonta d’un coup sec, aveuglant un bref instant son adversaire pour le désarmer.

« Vous vous êtes bien battu, prince Dorian. »

Avait lancé Ilyas en tendant sa main. Bien entendu Dorian était trop fier pour accepter celle-ci et s’en détourna pour reprendre son épée au sol.

« Sans ce poteau et sans ce sable, vous auriez perdu et vous le savez. »

Il rangea son épée et cracha sur le sol. Lançant un regard mauvais au Wyl.

« Il faut savoir prendre avantage du terrain sur votre adversaire, c’est la première leçon de l’Art de Guerroyer de SunThsoue. » Fit-il avec un sourire qui avait le don d’agacer le Prince Rouge. « Dans un combat, seul le résultat compte. »




Franchissant la porte, il vit Sühan faire les cent pas se mordant le pouce. Il lut tant de désolation et de résignation dans ses yeux châtaigne. Elle s’avança et le prit par les bras.

« Je ne veux pas me marier… Je…je ne veux pas partir. »

Sa voix tremblait de peur et de rage.

« Je ne les laisserai pas faire Sûhan. »

Répondit-il avec une volonté de fer. Elle n’avait jamais douté des motivations de son frère, ni de sa capacité à la protéger - bien qu’elle affirme ne pas avoir besoin de protection - mais cette fois-ci… elle avait bien l’impression qu’il serait aussi impuissant qu’elle.

« Que peux-tu y faire ? Je vais me marier... »

Ses derniers mots mourraient dans un silence. Le cerveau de son frère rentrait en ébullition, cherchant la moindre possibilité.

« Je… Je vais trouver, ne t’en fait pas. »

Je dois trouver pensa-t-il. Han Toland dit le fléau n’avait pas bonne réputation, il faisait ce qu’il voulait quand il voulait. La violence était souvent la réponse à ses problèmes et s’il pouvait être brutale et cruelle, eh bien cela faisait une bonne démonstration. Lui vivant, jamais ce monstre ne se marierait avec sa soeur. Il y avait bien quelque chose que redoutait cet homme! Ou alors se trompait-il de cible ?

« Et si… nos chers parents pensaient que tu n’étais la fiancée idéale ? »

« Mais je ne suis clairement pas la fiancée idéale! » C’est un regard, qu’ils en venaient à la même conclusion. « Et s’ils me trouvent étrange… tu penses que … ? »

« Cela pourrait complètement les dissuader, voir les effrayer. »

« Et je pourrai rester sans plus jamais être inquiétée. »

Elle n’aurait plus à se cacher et peut-être que ses parents reconnaîtront enfin les qualités de leur fille. Du moins, c’est ce qu’ils croyaient.


Le grand salon était pour le moins silencieux. Les invités attendaient non sans patience la venue d’Ilyas. L’homme avait traîné pour venir, d’autant plus que Sühan n’arrêtait de lui en parler depuis ce fameux dessin. Et même si cela ne faisait que trois jours, il eut l’impression que ce fut une éternité. Il savait qu’il devait de se marier, il n’avait rien contre cette idée, mais il n’était pas pressé pour autant. Il espérait que cela ne l’éloigne point de sa benjamine.

Après quelques bienséances, il prit à part sa futur épouse.

« Lady Meria, il serait prétentieux de ma part de vous dire que j’ai veillé jusqu’à ce jour. Je ne vais pas non plus vous faire un discours sur l’amour et sur les devoirs qui nous incombent. Sachez simplement que je vous estime avec déférence en tant qu’homme et mari. Je ne demande rien de plus que cette réciprocité. Cela vous sied-il ? »

Elle ne s’attendait point à de telle parole, pourtant elle ne put s’empêcher de répondre par un sourire.

« Quelle belle entrée en matière Ser Ilyas. Vous faites preuve d’une incroyable décence. » Fit-elle d’un ton ironique. « Comment réclamez ce qui se gagne par les actes ? »

L’homme fut agréablement surpris devant tant subtilité. Au moins, il ne s'ennuierait point d’une simple façade serviable.

« Devant ce sourire, vos mots manquent de piquant. »

Il savait bien qu’elle n’était pas restée insensible à son approche. Le sourire de la jeune femme s’accentua.

« Ne prenez point ma moquerie pour de la flatterie. Remarquez cela expliquerait le fait que n’aviez encore jamais été fiancé. »

Faisant mine d’être touché par ses propos, il eut une grimace grotesque et complètement surjoué. Avant de reprendre avec amusement.

« Vous allez bien vous entendre avec ma chère soeur, je le crains. »


Les arcs brisés de pierre étincelaient sous le reflet du bassin. Des bougies disposées ça et là donnaient une ambiance très particulière au bain. Le Ser était adossé au rebord, ses doigts glissaient sur la surface. Ses yeux se perdaient sur les ondulations de l’eau. Ses pensées l’assaillaient sans lui laisser de repos. À chaque fois qu’il avait la chance de voir sa soeur, il remarquait un nouveau détail, un teint plus pâle, des traits tirés ou encore des cheveux blancs. Il la sentait devenir de plus en plus fragile et il se sentait impuissant.

« C’est donc là que vous vous cachiez. »

Il n’avait pas entendu sa femme venir. Elle portait une robe longue blanche qui dévoilait sa gorge, ses bras et dans ses pas ses jambes. Une vue plaisante bien qu’il n’avait pas la tête à tout ceci.

« J’avais besoin d’un bain. »

Ho elle ne se faisait pas aussi facilement bernée. Elle savait bien que quelque chose le tourmentait et cela devait avoir avec sa précieuse soeur.

« Les Sept soient loués, vous l’aviez remarqué vous aussi. »

Elle tenta de lui arracher un sourire, cependant elle ne reçut qu’un maigre soupire. Elle marcha le long du bassin.

« Vous êtes plus silencieux que d’habitude mon époux. »

Il releva la tête en sa direction.

« Et vous me semblez bien plus bavarde. »

« Ravie d’entendre que vous appréciez ma présence. » Fit-elle en prenant place sur le rebord situé à droite de son mari. Laissant ses jambes se balancer dans le bain. « Nous pouvons rester là dans le plus pieux des silences. »

Il savait qu’elle ne poserait pas de question et qu’elle n’attendait qu’une chose : qu’il parle. Pendant un moment il chercha les mots dans sa tête. Que pouvait-il lui dire ?

« Des sacrifices effarants pour être considéré comme des moins que rien… C’est pitoyable. »

Lâcha-t-il avec un rire mauvais. Elle savait que Lord et Lady Wyl étaient partis avec leur fille pour Lancehélion quelques jours, mais elle n’en savait guère plus. Et pas besoin d’être génie pour comprendre qu’il y avait eu de grands enjeux.

« Nous tombons pour mieux nous relever. Si aujourd’hui certaines choses semblent impossibles, demain elles ne le seront plus. »

Cet élan de positivité ne fonctionnait pas sur lui. Il savait que demain sa soeur souffrirait encore. Il soupira profondément se laissant distraire par le clapotis de l’eau.

« Et si le temps est compté ? »

Cette inquiétude ne ressemblait pas à son mari… Il ne lui disait pas tout, elle en avait conscience, pourtant elle espérait toujours pouvoir l’aider.
« Alors deux choix s’offrent à vous. Soit vous l’acceptez en trouvant du réconfort là où vous le pouvez. Soit vous vous battez encore plus ardemment pour que la bataille en vaille la peine. » Le connaissant, jamais la première solution ne lui conviendrait. Puis elle ajouta. « Sachez simplement bien diriger votre arme. »

Était-il en colère contre l’indifférence de la princesse rouge ? Ou bien l’avidité inconsciente de ses parents ? Il médita dessus et la réponse fut bien plus sombre qu’il ne le pensait. Il était seul coupable de sa haine, seul coupable du sort de sa soeur...

« Vous arrive-t-il de regretter certains de vos choix ? »

« Maintenant que vous abordez le sujet, ça me fait penser à notre mariage. » Lâcha-t-elle d’un ton léger. Elle aimait lui dire des boutades, surtout quand il lui tendait une perche de la sorte. Devant son regard d’affliction, elle s’éclaircit la gorge. « Bien évidemment, nous sommes humains et par essence faillible. Si nous étions omniscients, cela nous empêcherait-il de faire des erreurs ? »

Ses yeux se perdirent sur les reflets des bougies dans l’eau. S’il avait su, aurait-il pu en changer l’issue ? Les choix sont les fléaux de l’humanité, le bras vengeur des Sept, car nulle ne gagne dans ceux-ci. Vaniteux est celui qui croit mener la danse éternellement.

« Je ne pense pas, alors apprenez à être indulgent. »

Il releva ses yeux sur sa femme, elle avait su d’une certaine façon apaiser ses tourments. Enfin c’était avant qu’elle l’éclabousse de ses pieds. Le visage trempé, il la menaça du regard. Plongeant, il s’empara rapidement de sa cheville et l’attira dans l’eau. La grimace de sa femme le fit sourire.

« L’eau serait-elle trop fraîche ? »

Elle lui répondit d’une vague qu’il prit de plein fouet sur le visage.

« Maintenant, c’est parfait. »


Les lattes de bois qui formaient le quai gémissaient sous chaque pas. Aujourd’hui c’était une journée quelque peu animé et l’on se pressait pour embarquer les différents coffres et vivres. L’homme à la barbe poivrée posa une main sur l’épaule de son fils.

« Si tout se passe comme prévu, nous nous reverrons dans deux semaines. »

« N’ayez crainte père, je veillerai sur Wyl comme vous l’avez fait. »

« Je le sais. » Fit-il avec un regard emprunt de fierté.

Il fit une étreinte à son père.

« Je prie les Sept pour la réussite de votre projet. »

Waël lui tapa amicalement dans le dos, avant de laisser place à sa femme.

« Mon fils, quel est ce visage si pâle ? »

« Les nuits sont courtes. » Dit-il avec un regard grivois.

Pouffant de rire, elle répondit. « Hoho, puisse la Mère nous accordez sa bénédiction. »

Elle se serra fort dans ses bras, puis  « Sühan a l’air particulièrement distraite aujourd’hui… Il ne faudrait pas qu’elle relâche ses efforts. »

« Je garderai un oeil sur elle, ne vous en faites pas. »

La cloche coupa leur échange et les derniers passagers qu’étaient Lord et Lady Wyl embarquèrent sur le bateau. Un membre de l’équipage enleva la planche qui servait de pont. Ilyas lui fit un signe de la tête auquel l’homme répondit. Les cordes libérèrent les grandes voiles et le bateau commença son périple.

Entouré de Sühan et de Meria, Ilyas fit un geste d’adieu à leurs parents. Ils regardèrent le navire disparaître à l’horizon.


« Dans trois jours, je veux qu’elles soient irriguées dès la tombée de la nuit. »

Fit le jeune Lord en marchant sur le chemin qui menait aux plantations. Emboîtant le pas de leurs seigneurs, ses conseillers s’insurgèrent devant pareille demande.

« Lord Wyl, cela fait deux semaines que la pluie coule à flot. »

« Les plantations vont être noyées. »

Ilyas fit volte face et les dévisagea.

« Quelle insolence. Vous mettez en doute mes ordres ? »

« Mais... »

« Cessez vos jérémiades. Si j’en entends encore un, vous pourrez être sûr qu’il servira d’engrais à ces plantes. »

Il n’avait pas élevé la voix, mais tous pouvaient sentir son agacement. Personne n’osait se mettre sur son chemin. Quelques jours plus tard, tous constatèrent que la pluie avait laissé place à un soleil radieux et puissant.

« Votre seigneurie a été fort avisée. Mais comment avez-vous su qu... »

« Un simple coup de chance. »

Dit le Wyl avec un sourire emprunt d’amusement avant de regarder sa soeur.