Difficile de deviner ce qui pouvait se tramer dans la tête du Bracken. Il jouait au cavalier mystérieux et Mahlah n'appréciait pas son calme inapproprié. La victoire semblait n'être qu'une option pour lui, et elle commençait à soupçonner un plan traitre si jamais la bataille s'annonçait perdante. Chose qu'elle même aurait été capable de faire si elle en avait eu le temps et l'occasion. Alors comment lui en vouloir ? Elle avait des priorités. La gloire du roi n'en était pas une, elle était là par politesse. « Je n'en pense pas grand chose sinon que le principe même de sacrifier mes hommes pour d'autres projets que ceux des Jumeaux m'est très agaçant. Pour autant, les arrangements que mon père a pu avoir avec les fer-nés par le passé ne me plaisent pas non plus. Il n'y a pas de solution idéale dans ce type de choix. » Seuls comptaient les caprices d'un homme, deux, en l'occurrence. Elle était dans un flou complet, pas certaine de la meilleure stratégie à adopter.

Si le doute était permis auparavant, il devenait évident que le seigneur Bracken n'avait pas envie de se mouiller. Et si il prenait si peu de risque à envoyer ses troupes s'enliser face aux fer-nés, ça paraissait d'autant plus légitime d'imaginer qu'il avait un plan sale derrière la tête en lien avec les fer-nés. Probablement. Soit ça, soit il attendait de juger que les soldats du roi étaient assez nombreux à être tombés pour se pointer et récolter toute la gloire. Ou la couronne. Qui pouvait savoir ce qui se tramait dans l'esprit de cet homme à l'air fourbe ? En attendant, il semblait être le parfait bouclier derrière lequel se planquer. Au risque de se faire abattre par derrière quand il aurait décidé qu'il en avait assez d'elle, elle préférait laisser son plan se dérouler. Elle avait fait son choix. Il ne serait pas trop tard pour réagir si la situation se retournait, et elle préférait avoir à fuir les Durrandon que de se retrouver à nouveau prisonnière chez les fer-nés. Ou de mourir. Bêtement, pour une bataille qui n'était clairement pas la sienne. En revanche, ils allaient sûrement bientôt se faire avoiner par lord Tully qui avait bien plus de loyauté envers la couronne que les deux étranges compères stoïques. Alors elle prit une inspiration, soupira légèrement, et -au risque de passer pour une idiote qui se faisait de fausses idées passibles de peine de mort- profita du fait que Samwell regardait la bataille pour croiser le regard de Bracken d'un air interrogateur. « Et maintenant ? » Et lui, aurait-elle pu demander. Quel que soit le plan de Lothar, quel était la place de Samwell dans celui-ci ?

Un regard vers Lothar, que la trahison n'étonnait finalement pas, et Mahlah sentit tout ce qu'elle avait pu bâtir depuis son retour s'écrouler devant elle. Plus aucune certitude n'était de mise, tout devenait caduc. Elle reposa les yeux sur le champ de bataille, les morts, la boue, se perdit sur les hurlements au loin. Déjà, le Bracken s'éloignait. La jeune femme n'avait pas bougé. Dolvan l'attendait... Edwin, Laura et probablement Ederick, également. Elle allait devoir renforcer ses troupes au sein du Quetzal, assurer à tous ses réfugiés une solution de repli au cas où, par miracle, la royauté s'en sortait et venait accomplir sa vengeance. Ses yeux gris se posèrent sur le seigneur Tully, avec une lueur de regret dans le regard. Il venait de se placer à la même position qu'elle, celle d'un homme que Lothar n'hésiterait pas à sacrifier pour ses intérêts en abusant de ce qu'ils venaient de faire aujourd'hui. Cette posture valait mieux que de mourir devant les fer-nés, mais elle n'était pas ce qu'elle désirait. Que désirait-elle vraiment ? Sa vengeance contre Tyldr valait-elle vraiment tout ça ? Elle avait réussi à mettre son fils à l'abris, que pouvait-elle espérer de plus ? Réussirait-elle seulement à supporter l'entourage des fer-nés ? Elle leva une main, exécuta un geste de retrait, et suivit lord Bracken avec ses troupes, silencieuse.