L'horizon arborait cette couleur orangée que tous reconnaissaient comme la promesse d'une journée ensoleillée. Le campement fer-né était là, à portée de main, il suffisait de tendre le bout des doigts... Mais rien n'était aussi simple. Jamais. En expliquant à Dolvan qu'elle ne reviendrait peut-être pas, Mahlah avait vécu le moment le plus difficile de sa vie. Il était toutefois entre de bonnes mains, entouré de personnes de confiance, dans un endroit difficile à prendre. Son esprit devait le quitter, le temps de voir s'écrouler les quelques milliers de corps prêts à se sacrifier, avec le stupide espoir de faire partie des rares chanceux à survivre. Mahlah n'avait pas sa place ici. Pas plus que tous ces pions qui n'avaient d'autres choix que de mourir en inconnus ou en traitres. « Les miennes sont d'ordinaire plus... Sournoises. » répondit elle vaguement. Des pièges, des placements prévus à l'avance, des plans millimétrés, des coups rapides, stratégiques. Elle avait bien conscience que ses techniques habituelles n'étaient pas applicables à un si grand nombre d'ennemis, à un terrain aussi large. Mais tout de même... Elle préférait quand elle n'avait pas à se salir les mains. Pas par couardise, uniquement par facilité. L'ordre de Lothar la laissait de marbre, trop occupée à observer le terrain un peu plus bas, ainsi que les troupes alliées. Elle était là, avec lui, elle mènerait ses troupes selon ses ordres, il le savait, elle le savait, elle n'avait pas envie de revenir là-dessus, alors elle l'ignora, tout simplement. Sa concentration se portait sur le nombre incalculable de petits points mobiles qui se mouvaient plus bas, féroces, avides de sang, insatiables. Et quand les premières flèches furent tirées par le roi, suivies de celles du seigneur Tully, la jeune femme se redressa sur son cheval. Et sans émettre le moindre geste, elle posa ses yeux gris sur le seigneur Bracken, qu'elle rêverait de voir s'enfoncer sur son épée, mais à qui elle devait pour l'instant obéissance.

Les premiers mouvements firent gonfler le coeur de Mahlah, comme si les spectres éparpillés un peu plus bas devenaient enfin réels. L'armée royale s'était également élancée, obéissante au sacrifice qu'on lui demandait de faire. Elle n'avait rien à faire là, pas parce qu'elle était une Dame mais parce que cette guerre n'était pas la sienne. Elle avait suffisamment de problèmes à gérer pour en plus se farcir une invasion de sauvages, d'autant plus que si l'autre s'était pointé, ils auraient pu tenter de s'arranger... Quel dommage d'en venir à ce point. Son regard abandonna les troupes qui commençaient à s'ébruiter plus bas pour se poser sur Bracken. Il était étrange. Il était toujours étrange, depuis le début, et elle supportait encore moins de ne pas le comprendre alors qu'ils jouaient leur vie dans la boue. Elle hocha de la tête à sa consigne et se tourna à moitié vers ses hommes, faisant passer l'ordre qu'elle avait reçu, sa cavalerie se tenant prête. Et pendant une seconde, elle pria le Noyé pour qu'une flèche ennemie ou une épée bien placée la débarrasse de lord Bracken. Mais c'était peut-être un peu trop espéré pour l'instant. Le bougre était malin, perfide. Elle aurait tout le temps de s'occuper de lui plus tard. Sa propre vie était en jeu et elle n'avait même pas introduit quelques membres du Quetzal pour une éventuelle fuite. Cette bataille, c'était tout ou rien.