La capitale du désert sentait les orangers et la cannelle. Du moins, ses quartiers chics et aisés. C’étaient les allées sans mendiants et sans affamés : les rues avec les meilleurs bordels de la Principauté, ou même, de Westeros, selon certains habitués. C’était une fierté pour Rhéa de posséder ces établissements, là où sa parole était loi. Les décrets de la Princesse de Dorne étaient évidemment applicables, et handicapaient quelque peu la maquerelle et ses paires. Mais Rhéa était ambitieuse et sûre d’elle ; une fois qu’elle aurait mis fin aux restrictions sur les filles de joie, elle sera la maquerelle la plus aimée de toutes les prostituées de Dorne. Un titre que, à sa connaissance, aucune dame n’a porté dans l’histoire du monde connu.

Mais ce soir, Rhéa n’était pas dans l’enceinte du bordel. Même si c’est l’heure où l’établissement est le plus actif, sa propriétaire n’aimait pas se mêler aux clients, préférant garder sa réputation de Vierge. Enfilant une légère robe cuivre, la dame d’Essos rabattit une large cape en velours jade, avant de s’engouffrer dans les rues sombres de Lancéhilion. Comme à ses habitudes, elle était accompagnée de deux gardes, vêtus en civils et ne portant aucune arme qui alerterait les passants. Lançant une pièce vers un orphelin et s’arrêtant pour prendre des nouvelles d’une amie, Rhéa se retrouva aussitôt au port de la cité.

C’était un endroit qui éveillait quelque chose chez Rhéa. Un désir. Une envie de voir son propre navire marchand prendre la mer. Irait-il vers les îles d’été, pour l’obtention de leurs produits inconnus de Westeros ? Ou peut-être qu’elle achètera de la soie de Myr, de quoi mettre une étincelle d’excitation aux yeux de toutes les dames du continent ? Son navire pourrait aussi contenir du marbre de Tarth, avec lequel elle se bâtira une villa loin de la capitale. Hypnotisée par la beauté de l’océan et par la splendeur de ses rêveries, Rhéa manqua presque d’apercevoir la bannière Jordayne sur le bouclier d’un garde qui semblait, à première vue, accompagner la Lady Annarys. Que faisait-il ici ? Rhéa n’en avait aucune idée. Mais c’est ce qu’elle savait, c’était qu’il s’agit d’une excellente opportunité pour se rapprocher de la noblesse dornienne, qu’elle observait d’un air curieux depuis maintenant quelques mois.

Laissant tomber sa capuche, pour mieux laisser voir ses traits et sa beauté, la maquerelle fit signe à ses compagnons de ne pas la suivre, avant qu’elle ne se dirige vers sa nouvelle partenaire de conversation. Elle s’avançait tel un ruisseau, d’une grâce et légèreté certaine. S’en suivit une révérence des plus fines. Chose rare pour une fille du peuple, mais celle-ci n’est visiblement pas comme les autres. Alors qu’elle se relevait, avec son sourire le plus charmeur, Rhéa s’exprima d’un ton mélodieux, avec son habituel accent Dothrak.

« Lady… Jordayne. C’est un plaisir de vous voir ici… Les rumeurs quant à votre prestance ne vous font pas justice. »

Puis, d’un air faussement surpris, elle s’exclama.

« Oh, excusez moi, j’ai omis de me présenter. Rhéa, à votre service. »

(c) mars.

La présence d’une princesse, ou même d’une reine de Sarnor était l’une des choses qui intéressaient le moins Rhéa. C’était probablement le type de fait qui n’intéresserait personne à Dorne, ou dans tout le continent. Sarnor était trop loin et trop étrangère aux terres Dorniennes pour que son peuple y prête une quelconque attention. La maquerelle pourrait avoir toute la famille royale de Sarnor sous son nez, dans son bordel, et elle ne prendra même pas la peine de les regarder. C’était bien ironique ; le cas de la dame du Tor était diamétralement opposé à la Lady Rhéa. Pour cette dernière, la présence d’une figure localement noble au port était infiniment plus intéressante, d’où la raison de son rapprochement vers cette dernière.

Rhéa s’arrêta évidemment devant les gardes, leur accordant des regards presque complices. Le type de regard que seules deux personnes du peuple pouvaient comprendre, et qui échappait totalement à la noblesse. Mais ce moment ne dura qu’une fraction de seconde avant que la noble dame ne prenne parole. Du même ton, l’étrangère répondit.

« C’est bien gentil de votre part de penser que je suis noble, Lady Jordayne. Mais je ne suis qu’une fille du peuple. Une marchande, nouvelle sur la scène de Lancéhilion. Un plaisir de faire votre connaissance. »

Marchande… Certes. La marchandise qui lui rapportait le plus était le plaisir de la chaire d’hommes et de femmes, qu’elle exposait dans ses bordels. Mais Rhéa a également investi dans quelques tavernes et commerces de textiles, sans réellement prendre la chose au sérieux. Elle restait quand même une commerçante, non ? Après tout, l‘information que ses espions lui rapportaient avait elle aussi son prix, et pouvait parfois coûter beaucoup plus que des plaisirs charnels et quelques soies.

« Je vous connais de votre réputation, évidemment. J’imagine que tout le monde dans cette cité vous connaît, ma Dame. Mais d’un autre côté, connaître les choses est un peu l’un de mes talents… »

Fit-elle, avec un lourd sous-entendu. Était-ce une menace ? Une offre de service ? Ou simplement une anecdote, qu’elle dirait à tous passants dans les rues de la Capitale ? Encore un mystère. Un large sourire fit surface sur les lèvres de la tenancière, qui, d’un air faussement innocent, dit.

« Oh- J’espère que je ne vous retiens pas, Lady Jordayne. Ce serait évidemment un honneur que de pouvoir vous accompagner aux quais… Mais si vous êtes ici pour une affaire importante, je me retirerai de suite. »

(c) mars.

Rhéa pensait que l’Homme avait deux armes, s’il vouait survivre dans ce monde : le métal, et la plume. Si Lady Jordayne était une excellente guerrière et une générale hors norme, Rhéa, elle, ne l’était pas. Elle n’a pas été élevée pour diriger des hommes, mais pour être une bonne épouse. Elle ne l’est visiblement pas- ou du moins, plus. Il était certes bien connu que rien n’assurait mieux le futur d’une dame qu’un bon mariage et des enfants. Mais celle-ci a décidé, tout comme Jordayne, de prendre le chemin le moins facile. Allaient-elles le regretter ? Peut-être ; dans dix, vingt, ou trente ans. Mais maintenant était le temps de l’ambition. Un trait de caractère que la jeune Rhéa possédait visiblement.

« Vous êtes bien gentille, Lady Jordayne. A vrai dire, je n’ai jamais été mariée- et je n’ai d’ailleurs fréquenté aucun homme ! J’ai construit mon affaire depuis les rues de Lancehélion. Depuis qu’un navire m’a déposé sur le même quai où nous nous promenons. »

L’histoire de l’étrangère venue d’Essos qui a progressivement pris contrôle du bordel est une histoire bien connue dans certains quartiers de la ville. Mais Rhéa, s’en souvenait. Un grand bateau dans ce port, à bord, elle, et quelques âmes loyales. Une ancienne Khaleesi, se faisant passer pour une jeune esclave vierge récemment affranchie. C’était un conte qui donnait envie de l’aimer et de lui faire confiance, et apparemment, ses charmes ont bien marché sur la population locale. Sa sphère d’influence est peut-être géographiquement minime, mais elle est factuellement non négligeable. Rhéa se mit à avancer sur le quai aux côtés de la grande dame, répondant.

« Mais oui, je détiens une affaire. Je cherche à l’expandre et à me diversifier… Car certains hommes de la Foi ne sont pas satisfaits de ce que je fais. »

Une bien charmante façon de dire qu’elle était tenancière d’une maison close. La première partie de sa phrase est cependant bien vraie : même si la luxure rapportait de l’argent, ce n’était pas assez. Rhéa voulait bien plus que ça. Des navires à son nom, allant de Lannisport à Blancport. Des produits des Cités Libres et de la Baie des Esclaves. Mais elle rêvait peut-être etrop grand. Rhéa fut ramenée à a réalté par les paroles de la Lady Jordayne.

« Ils disent que vous êtes une femme puissante, ma Lady. Une à ne pas provoquer, et à ne surtout pas trahir. Enfin, vous savez comme moi à quel point le peuple aime les grands guerriers. Ceux qui mènent des batailles mémorables, et qui font de leur possible pour assurer la sécurité de la Principauté. »

C’était la vérité ; seulement, en plus belle. L’on disait aussi qu’elle a passé une bonne partie de sa vie dans les contrées étrangères. Alors que certains l’admiraient pour ses grands voyages, d’autres la méprisaient pour avoir abandonné son fief. Et puis, sa famille était bien controversée, et les Dieux savaient à quel point le peuple aimait rattacher une personne à ce que sa dynastie faisait.

« Avec plaisir, dans ce cas. De toutes façon, c’est une belle soirée. »

Fit-elle, en référence à la météo.

(c) mars.