Tout était arrangé à la perfection dans le bordel de Rhea. Les coussins étaient toujours moelleux et revêtus de soieries, les filles étaient toujours propres et parfumées, puis surtout, tous les édits princiers étaient respectés. Si un étranger passait à côté de la maison close, il conclurait qu’il s’agirait d’une simple villa. Mais la réputation de ce bordel était telle que rien ne pouvait le faire disparaître. Ni la noblesse, ni les gardes, ni la foi.

C’était une soirée comme les autres. Les lieux étaient hautement actifs. Les boissons coulaient à flot, et les chants de plaisir se liaient à la musique d’un ménestrel. Quelques des travailleuses ont reconnu le visage de l’un de leurs réguliers, et c’est avec dévotion qu’elles l’accueillirent, connaissant sa générosité. Lorsqu’elles entendirent sa demande, un regard fut échangé. Très peu de personnes demandaient à voir la tenancière : d’habitude, ils préféraient voir ses employés, sachant que celle-ci ne se prêtait jamais à leurs activités. « Que lui voulait-il ? » fut la question qui traversa l’esprit de quelques jeunes dames et hommes, qui obtempérèrent aussitôt. Nyra, une délicieuse dame du Tyrosh, guida le Prince vers les portes menant à la chambre de la maquerelle. Elle y pénétra, puis en ressorti après quelques secondes, lui affirmant d’une voix des plus mielleuses.

« - Lady Rhea est prête à vous accueillir. »

Dans cette grande pièce régnait une atmosphère beaucoup plus calme. Le bruit de pêcheurs est remplacé par celui des vagues, et l’odeur d’épices par celle d’encens. Lorsque Dorian arrivera, il trouvera Rhea prête à l’accueillir devant son bureau où elle semblait se prêter à de la finance. La dame était vêtue d’une tunique perle, et d’un châle en soie violette. Elle le salua d’une révérence, et de paroles d’argent.

« Votre Altesse… C’est un honneur de vous recevoir. Je vous prie, installez-vous. Souhaitez-vous quelque chose à boire ? A manger ? »

Alors qu’elle désigna en premier lieu le salon qui se situait près du balcon-terrasse, elle ira en second se verser une coupe de vin- et une au Prince, s’il le souhaitait. Alors qu’elle s’installait, Rhea attrapa une poignée des fruits secs disposés sur la table. Elle était curieuse quant à sa venue ici. Voulait-il demander qu’une fille en particulier lui soit assignée ? Ou peut-être qu’il avait besoin de ses services en ville. Noyant sa curiosité dans une cacahuète, la tenancière laissa le prince commencer la conversation et indiquer la raison de sa venue, trouvant cela irrespectueux de le lui demander.

(c) mars.

Rhéa traitait bien ses clients, et traitait encore mieux ses réguliers : surtout s’ils étaient à la tête d’une Principauté. C’était du bon sens, ou de l’opportunisme. Mais ici, dans cette maison close, ils trouvaient un plaisir et un respect qu’ils ne trouvaient nulle part d’autre. C’était peut-être la raison pour laquelle ils aimaient tous tant ces lieux. De trouver une compagnie qui ne demandait rien que de l’argent. Pas d’efforts de mémorisation, de stratégies ou de concentration. Mais simplement d’être une version généreuse d’eux-mêmes. La tenancière, réputée pour sa virginité, ne faisait point payer ses invités pour les entrevues qui se déroulaient entre eux.

« Les affaires sont florissantes, majesté. Enfin, elles le sont sûrement moins qu’avant- avant qu’il n’y ai ces lois qui régulent la profession. »

Répondit-elle en toute franchise, alors que ses doigts pianotaient sur sa coupe de vin. Son établissement a toujours été connu pour son raffinement et sa discrétion : ses filles ne sont pas le type à se vendre dans les rues. Mais l’opinion publique a certainement changé. Un coup dur pour Rhéa, qui se voulait femme du peuple.

« Et j’imagine que les affaires de la Principauté se passent convenablement ? »

Enfin, si l'on faisait abstraction des guerres, des ambitions grandissantes, et de l'appauvrissement de la population.

(c) mars.

La mort de la princesse Naerys est un évènement tragique, qui a secoué la Principauté. A cette époque, la tenancière s’occupait plus des affaires du bordel que de celle de Dorne en son entièreté. Telle est la place d’une Madame, diraient certains. Mais en tant que figure sociale, elle se permet d’avoir son opinion sur les sujets de société. Ou du moins, c’est ce qu’elle se disait : il est sûr que les Septons ne sont pas d’accords avec sa vision.

« C’est pour le bien de la Principauté, j’imagine. Des sacrifices doivent être faits. »

Des mots emplis de sagesse, mais avec une certaine hypocrisie. Si le bien de la Principauté se réduisait à obéir aux directives des religieux et des septons, alors autant retirer les traditions Rhoynares des dorniens, et les faire adopter les coutumes et façons de pensées andales. Une idée bien ridicule aux yeux de Rhéa, qui sait que le temps lui donnera raison et que son entreprise s’en sortira victorieuse. Mais elle n’en dit mot au Prince, n’osant pas s’avancer dans ce sujet.

« Vous êtes bien bon, votre Altesse. Je ne saurais abuser de votre générosité, mais… »

Elle ne finit pas sa phrase, buvant une gorgée de sa boisson avant de reprendre.

« J’entends dire que vous avez des amis au Bief, votre Majesté ? »

Ce serait se voiler la face que de dire que l’ancienne Reine Dothraki n’est pas une femme opportuniste. Elle sait reconnaître les bonnes affaires, et la présence de ses propres « amis » au Bief pourrait lui apporter beaucoup de richesses. Son opportunisme, contrastant avec sa loyauté, en fait un personnage bien intéressant et imprévisible. Allait-elle mettre en avant les intérêts de son patron, ou les siens ?

« Ma loyauté est vers la Principauté, et vous l’êtes l’un de ses Princes. Si je peux vous êtes utile à Lancéhilion, votre Altesse, c’est avec bonheur que je vous soutiendrai. »

(c) mars.

La maîtresse des lieux fut légèrement déçue en entendant dire qu’il n’avait pas d’alliés à Hautjardin. Un réseau d’espion parmi les buissons du palais des Jardinier pouvait lui être fort utile. Dans la cour où les fraisiers avaient des oreilles, les secrets sont déversés comme du vin de la Treille dans la coupe d’un chevalier. Et qui dit secret, dit gains, profits, et richesses. S’il est vrai que le Prince lui inspire une certaine confiance, elle ne se sent pas à l’aise pour révéler ses plans aussi crûment que dans ses pensées.

« Je suis certaine que même si vous n’avez pas d’amis à Hautjardin, bon nombre de Dorniens aimeraient vous y suivre. Des gardes, servants, et même une ou deux dames de compagnie pour l’héritière du Bief. Des personnes qui vous comprendront, et qui vous seraient aveuglément loyaux. »

Comme les Dothrakis l’ayant suivi après ses nombreux périples : mais c’était un secret. Le conseil de Rhéa est sincère. Ca l’arrangerait certainement d’avoir un mot à dire dans la suite du Prince, ou même d’y glisser une prostituée. Mais est-ce que ça valait le coût, au vu du risque ?

« C’est un choix difficile que vous avez fait, votre Altesse. Je suis certaine que toute la Principauté vous sera redevable. Le Lion ne tardera pas à se cacher dans sa tanière, s’il sait que Dorne a des alliés. »

(c) mars.

L’on disait que les hommes avec un passé ancré dans le vice ne pourront jamais en sortir. Qu’ils sont destinés à se contrôler constamment, pour éviter d’y retomber. Rhéa savait cette information véridique. Elle a vu un bon nombre d’hommes honorables se retrouver dans le pétrin même après avoir promis de devenir des personnes intègres et pieuses. C’était si facile : il ne suffisait d’une goutte de vin, et du toucher d’une femme, et des mois- voire années- de travail s’écroulaient. Comme une tour, dont les fondations n’ont jamais été solides.

Mais le Prince était son ami. Elle n’avait pas de raison de vouloir le replonger dans son passé : même si les moyens ne manquaient pas, dans ce lieu de débauche. Qui aurait cru que les macrelles pouvaient montrer de l’empathie ?

« Si vous le permettez, peut-être que certains de mes employés ou employées pourraient vous accompagner à Hautjardin. Certains commencent à se fatiguer de la profession, et un peu d’air frais leur fera sûrement du bien… Auprès d’un homme qu’ils savent l’allié de leur maîtresse. »

Elle leva sa boisson au terme allié, comme si elle officialisait, ce soir, leur alliance. Mais le prince allait-il l’accepter, ou la rejeter ? Telle était la question de son côté. Rhéa, elle, se demandait si le Bief finira complétement sous l’influence de Dorne- officiellement via Doran, et officieusement via les espions qu’il plantera dans leurs rangs.
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(c) mars.