Qu'y a t-il de plus important au monde ? L'amitié d'un frère, l'amour d'une femme, la richesse, le pouvoir ?  Où quelque chose de bien plus grand encore ? Mes origines remontent à des temps anciens, quand les Premiers  Hommes foulèrent cette terre. Le blason que je porte, celui de mon père, de ma famille, de mes ancêtres morts en protégeant cette terre surplombe les tours, les remparts et les plaines brumeuses du val nerbosc. Le barral blanc semé de corbeaux noirs prenant leur essor flotte fièrement sur les terres du Conflans. Je suis Desmond Nerbosc premier-né de Corneilla. Je portais autrefois sur mes épaules le lourd fardeau de reprendre le flambeau de ma maison et de le saisir fièrement face à nos ennemis. Cette épreuve je la relèverais sans crainte si telle était mon désir. Le voudrais-je seulement ? Assurément pas. Les Anciens-dieux me dotèrent de nombreux traits, qualités et défauts façonnant mon corps, instruisant mon esprit et créant l'être que je suis. Si mes yeux révèlent aux vôtres l'amour d'une mère et mes mains la sévérité d'un père, ne vous y trompez pas car mon esprit est clairvoyant et peut jouer bien des tours aux plus malingres d'entre ceux qui chercheraient à me percer à jour. J'incarne aux yeux de mes semblables une forme singulière de courage, habile au maniement des armes et pourtant mon âme fait preuve d'une dépravation aussi brillante qu'affligeante. Je ne fais guère preuve de prudence, goûtant à tout ce qui passe à ma portée et j'attend l'instant précis ou je serais frappé et jugé sur le vaste échiquier de la vie. Vous voudrez certainement en connaître d'avantage sur ma personne, et pour cela vous devrez pénétrer avec moi dans des lieux inconnues et sombres dont vous auriez peur de ne pas pouvoir revenir. La maison Nerbosc fut faites à coups d'épée. Je suis le prolongement de cette lame émoussée qui autrefois transperçait, déchirait et broyait la chair, le sang et les os de ce qui voulaient nuire à l'Honneur de ma famille.

À travers l'épais brouillard foulant l'herbe humide je m'avance. Terne est mon regard scrutant l'horizon sans quelconque raison est mon esprit à le faire. Sale est ma figure tacheté de sang et de boue. Tiède est mon souffle s'extirpant de mes poumons se mêlant à l'air frais et pur. L'aurore apporte les lueurs du soleil grandissant dans le ciel mais, jamais ne foule cette terre. Leurs silhouettes semblent pareilles aux monolithes bordant les monticules dressés depuis des temps anciens et désormais révolus. Elles m'observent, dévisagent, dévorent mon âme dans un silence sépulcrale auquel seul s'ajoute le bruissement du vent qui accompagne leurs funestes desseins. Je les entends me murmurer à l'oreille leurs paroles impies et déverser le poison dans mes veines me promettant une longue et douloureuse agonie.

« Lèves toi Desmond fils de Tytos. Lèves toi, lèves toi Desmond qui sera roi. »

« L'honneur est plus cher que la vie. » Cette phrase hante mes nuits depuis l'enfance sans jamais dévoiler à mes yeux les dangers et les enjeux qu'elle me dicte. Gravée en ma mémoire comme la pierre par les pluies torrentielles, elle raisonne dans chaque bloc élevant Corneilla à  travers les monts et les plaines conflanaises du val nerbosc. Les exigences qui s'imposèrent à ma condition de premier fils furent un premier obstacle à franchir dans un lieu où le mot faiblesse n'existe pas sous le patronyme de Lord Tytos Nerbosc. Austère, impassible et fier son cœur fait d'une pierre glaciale et sévère me façonna à l'image d'héritier qu'il affectionnait tant à obtenir. La devise de ma maison ne peut se résumer qu'au travers d'une histoire sans aucun enjolivement qu'il soit. Beaucoup de ce qui existait jadis est perdu car aucun de ceux qui vivent aujourd'hui s'en souvient. Ma maison elle n'oublie pas, le passé perpétuellement s'empare du temps présent au travers de l'éducation militaire et du culte des sept. Haïr mes ennemis, se méfier des ami(e)s, perpétrer mon nom à travers des siècles et des siècles. J'ai vu le jour s’assombrir mais jamais défaillir sur l'étendard revêtant le barral blanc symbole de notre dévotion et suprématie. Aujourd'hui je suis empreint d'aigreur et mes railleries raisonnent encore entre les murs du château.

Survivre quoi qu'il arrive, quoi qu'il advienne de nos corps tant que l'écho de notre nom à jamais raisonne par delà nos terres et s’engouffre dans la crypte mortuaire. Que sommes nous prêt à faire pour l'admiration d'un homme ?  D'un père qui forgea par sa présence, son acharnement assidu à prouver au reste du monde qui il était et ce que je ne serais jamais à ses yeux. Quand la fin fut proche il me convoqua à son chevet. Jusqu'au dernier souffle irascible qu'il extirpa d'entre ses lèvres je n'ai jamais daigné répondre à ses appels. Je suis resté muré dans le silence et l'écho d'une taverne entre les rires et les vomissements perpétuels de comparses éphémères. Nos cœurs battent à l'unisson et le mien déjà rêve. À travers cette route jonchée des sarcasmes symptomatiques du fantôme d'un monstre abject, existe pourtant l'espace d'un instant un souffle apaisant le cœur et l'esprit que je garde à jamais meurtris.
Je viens poser à terre un genoux, sur le banc de ta tombe parsemée de fleurs sauvages pour te dire que ma poitrine est froide comme l'argile. Que mon souffle est puissant comme la terre. Et si tu embrasses mes froides lèvres de pierres, tes jours, ne seront pas long. Combien de fois sur la tombe là-bas amoureux, nous avons eu coutume de marcher ? La plus belle fleur que j'y ai vu à depuis longtemps maintenant séché sur sa tige. Sans nom porte ton dernier lieu de repos, sans chagrin les gens passerons. Mais moi jamais je n'oublierai ce que nous étions.