An -122

On tambourinait à ma porte, j'étais encore là, dans mon lit. Les rayons solaires transperçaient déjà les rideaux. Il était tard, bien trop tard pour le réveil du Velaryon. Les yeux plissés, agressés par cette lumière, les coups semblaient résonner dans ma tête, comme si chaque impact heurtait mon crâne. Une migraine déjà naissante, je maudissais la personne derrière cette porte. C'était mon jour de repos, je ne demandais pas grand chose, juste un peu de tranquillité. Père ? Peu probable, il avait mieux à faire et il aurait envoyé un serviteur à sa place. Mère ? Elle serait rentrée avec douceur et sérénité. Baegor ? Il n'était pas même capable de gaspiller une telle quantité d'énergie.

"- BAEL ! BAEL ! BAEL ! OUVRE CETTE PORTE"

Cette voix menaçante, c'était Rhaenara, de 10 ans ma cadette. Malgré son gabarit proche d'une crevette elle arrivait à faire un tel boucan en permanence avec une énergie ne trouvant jamais de fond. Le sang valyrien coulait assurément dans ses veines. Le pire me direz-vous ? La porte était ouverte et elle n'avait qu'à presser la poignée pour entrer.

Bruit interrompu, silence soudain, paix enfin obtenue ?

"- AH BAH C'ETAIT OUVERT"

Je me redressais en prenant appui sur mes bras, mains enfoncées dans les coussins brodées. Le soleil baignait ce petit-être depuis son dos, camouflant son visage hormis sa chevelure de métal argenté, cascadant jusque dans le bas de son dos. Ce petit diablotin se mit à courir vers moi pour sauter dans mes bras, enfin pour me plaquer puisque je n'eus pas le temps de me préparer à ça. Une douleur vive qui revenait à la charge : celle des ecchymoses et hématomes sur le corps, conséquences d'un entraînement hardi. Mais cette douleur ne signifiait pas grand chose devant cet astre qui se présentait au dessus de moi, à califourchon sur mon torse, pile au niveau de mes blessures.

Un rire cristallin qui s'échappait de ce petit ange alors qu'elle se laissait tomber pour passer ses mains autour de mon cou, sa tête s'enfonçant dans mon épaule et mes cheveux. Je l'enlaçais à mon tour. L'une des raisons qui me poussait chaque matin à me lever avec entrain pour affronter la vie et les épreuves de mon père. J'encaissais volontiers la pression que devrait recevoir la fratrie. Mon frère ne pouvait guère assurer quelconque poste prestigieux et ma soeur était destinée à un futur n'étant pas le sien. Chaque matin me rapprocherait du jour où l'on décidera, chacun de nous 3, comment vivre.

"- Bien dormi Nara ?"

Tout ceci m'allait plutôt bien. Conserver l'intégrité physique de mon frère et l'innocence de ma soeur. Tout ce que je ferais, depuis ma visite des bas-fonds de Tyrosh, serait fait pour assurer un futur à ma fratrie. Je serais prêt à bafouer mes valeurs et à me salir pour m'assurer qu'ils n'auront pas à le faire.

Elle se redressait devant moi, ses pupilles violettes, tout comme les miennes, qui me fixaient tels des braseros

"- Voui ! Maman m'a emmené faire un tour dans les jardins ! C'était trop cool ! Y'a un papyon qui s'est posé sur mon épaule"

Nara était jeune, elle prenait déjà des cours de bienséance avec ma mère, elle travaillait sur ses prononciations, mais ces petites erreurs me faisaient sourire. Une simple correction de ma part alors que j'attrapais ses petits poignets entre mon index et mon pouce

"- Un papillon Nara, on dit un pa-pi-llon"

"- Aller viens on va en chasser d'autres !"

An -116

J'étais là, au bord de la falaise, cheveux au vent, claquant contre mon visage qui était fermé, yeux plissés. Combien de mètres me séparaient de cette eau trouble ? 10 ? 20 ? Quand on dépassait la dizaine on ne comptait plus vraiment les unités. Par paresse, ou juste humilité d'ignorance.

Les mains brimbalantes le long de mon corps. Il fallait se décider à sauter pour continuer à avancer. Baegor ne l'avait jamais fait et ne le ferait jamais. Rhaenara, Bael ne l'y autoriserait pas de toute manière. Tous les espoirs du maître Velaryon étaient fondés en ce jeune homme de 21 ans.

Le moment était venu, les murmures s'étaient arrêtés alors que je faisais un pas de plus vers le bord, la pointe de ma semelle dépassait, faisant tomber au passage quelques cailloux.

Tic. Tac. Tic. Tac. Plouf. 2 voire 3 secondes. 10m se parcouraient en 1s. 20 en 2. 40 en 3. Tout ceci pouvait paraître anodin. Mais la différence entre une chute de 20 et 40m était clairement notable.

Un sifflement courant à travers l'oreille. Ce n'était plus le vent qui lacérait mon visage mais bien l'air remontant alors que je chutais qui me faisait plisser les yeux. Pointes de pied vers le bas, mains se croisant sur mon buste alors que mes mains se joignaient à mes épaules. Ne faisant qu'un avec l'eau, je devais m'y introduire sans impact trop puissant. Il était en effet préférable de ne pas organiser mes propres funérailles alors que ma deuxième vie débutait. Celle d'un homme.

L'eau. Froide. Ou plutôt chaude après avoir passé autant de temps sous l'emprise du vent. Elle m'entourait, m'enlaçait. Ce silence soudain, après ce vacarme assourdissant. Il en était presque ... apaisant. Je restais là, sous l'eau. Quelques bulles s'échappant de mes lèvres, seule signe de vie pour la surface, invisible au vu de la distance me séparant des autres. Il n'existait rien d'autre que la nature. Et bien rapidement c'était dans cette extrême situation que je compris ce qu'était un homme à qui le cœur appartenait à l'océan.

Je faisais don de mon corps pour renaître totalement. J'avais plongé en jeune garçon et Triton m'avait ramené un homme. Mon père ne put qu'être heureux lorsque je me décida se décida à sortir de l'eau, au bout de 10 secondes ou même 30. Voire une minute ou plus. Quelle importance cela avait-il ? Que très peu en réalité. J'avais fait le grand saut, et j'étais maintenant un Velaryon à part entière.

An -115

Une journée banale, je me trouvais sur les quais Velaryon, réceptionnant vivres, marchandises et westerosi ayant effectué la traversée. Aux côtés de mes hommes, j'inspectai d'un oeil avisé tout ce qui était débarqué par les marins et mes laquais. J'avais la fâcheuse manie de toujours m'impliquer dans les affaires des nouveaux arrivants en faisant passer ça pour un simple contrôle de routine.

Les personnes embarquées sur ce bateau précis semblaient accompagner une dame, 20 hommes à ses côtés. D'un sourcil relevé je m'étais placé sur la route de la Dornienne, ouvrant le cahier de commerce. A la recherche d'un nom : Annarys Jordayne. Rien de bien alertant de mon côté, mais la curiosité était un vilain défaut qui devenait une qualité indéniable dans les mains de celui qui savait en tirer quelque chose.

J'interpella la jeune femme, posant un interrogatoire concis et bref mais qui me suffit amplement. Mon plan était déjà dans un coin de ma tête, et c'était déjà le moment de le mettre à l'oeuvre. Triton savait à quel point j'haïssais les Westerosis. Mais ma gloire et mon salut se trouvait de l'autre côté du Détroit. Dans un acte de générosité de ma part, j'offris couverts et gîtes gratuits dans un établissement Velaryon, le tout accompagné d'un sourire on ne peut plus faux. Effacé et aussi froid que la neige éternelle au-delà du Mur.

Sur ces dernières années j'ai passé la majeure partie du temps à aider mon père et à peaufiner mon plan. Qui fut lancé en ce début de l'an -110. J'avais recroisé la route de cette Jordayne, retournant au pays des Montagnes Rouges. Ayant acquis exploits et renommées, j'avais réservé un bateau pour son retour dans le plus grand des calme. Car mon tour ne tarderait pas. Toutes les maisons influentes de Westeros recevraient une missive de l'Hippocampe, avec tout le soutien de mon père et de ma famille. M'éloigner d'eux ne me plaisait guère. Mais tout ceci ne durerait qu'un temps avant qu'ils ne me rejoignent dans notre nouveau chez nous. Volantis n'était plus très loin, et la guerre était à nos portes. Se procurer alliés et entourages serait le plus sage, même si cela signifiait se salir auprès de ces impurs de Westerosi. Peut-être finirais-je par m'accoutumer de leur pestilence et à me satisfaire d'une femme sans saveur. Mais ... le monde n'est guère aussi illuminé que sous la surface.

The Old, The True, The Brave