Partie. Sans elle. La guerre faisait rage et Ezra n'avait pas été emmenée sur le champ de bataille par Naerys. Ce qui était compréhensible d'un côté faisait naître une frustration de l'autre. Elle aurait pu profiter de cette occasion... Avec un peu de chance, la guerre validerait sa mission à sa place. Mais il faudrait qu'elle s'assure de la validité de l'annonce. Ce n'était pas encore le moment de penser à ça, ceci dit. Elle ne pouvait rien faire d'autre qu'attendre pour l'instant. L'avantage étant que servante attitrée de Naerys, elle n'avait pas à subir les corvées des autres serviteurs. Si sa maîtresse n'était pas là, elle n'avait juste purement et simplement rien à faire. La jeune femme en profitait donc pour flâner, découvrir le palais dans ses moindres détails, là où elle avait l'autorisation de se rendre, arpenter les jardins -sans risquer de croiser le seigneur Wyl cette fois, puisque lui aussi faisait part aux combats-, dessiner les plans des lieux dans son esprit. Elle écoutait les rumeurs, aussi. Les petits ragots volages, les unions interdites, les bêtises masquées, les personnes importantes qui passaient par Lancehélion. C'est ainsi que le nom de Lazadhor Marios siffla à ses oreilles. L'homme semblait plutôt inquiéter les petites voix des couloirs et Ezra ne manqua pas d'aller se renseigner sur la raison de sa venue et l'endroit où il logeait.

L'Ordre Ardent étant originaire d'Essos, Ezra les connaissait. Ou du moins elle était suffisamment renseignée sur leurs actions pour savoir de quoi il retournait. Elle avait également déjà entendu parler du Capitaine, mais seulement depuis Lancehélion, ses informations à son sujet étaient donc maigres. Mais si l'homme était loyal à sa cause, elle pourrait ajouter un nouveau pion à son échiquier. Cela valait la peine d'aller voir, mais sans risquer de tromper son identité. Son travail ici n'était pas terminé et elle ne devait pas risquer de foutre en l'air tout ce qu'elle avait déjà accompli. Elle alla récupérer un panier dans sa chambre et quitta le palais un peu avant midi pour rejoindre le centre-ville. Les gardes la connaissaient, ils la laissèrent sortir et ils la laisseraient rentrer, sans aucun doute. Ses pas la menèrent jusque dans un quartier quelconque où elle prit une chambre dans une auberge pour la nuit. Le lit ne serait probablement pas défait au petit matin, elle avait d'autres projets. Mais pour l'instant, un peu de réparage s'imposait. Elle cacha le contenu de son panier dans le coffre de la chambre et sortit pour aller acheter quelques fruits au marché. Puis, dans la transition toute faite de la continuité du chemin, elle se rendit jusqu'à l'auberge où logeait le capitaine Marios. Elle alla s'installer à une table et prit un repas qu'elle prit un temps considérable à avaler. Elle attendait. Qu'il sorte, qu'il entre, peu importe, tout ça dans le but de savoir quelle était sa chambre, et quand ce fut fait, elle retourna dans sa propre auberge. Elle attendit que la nuit approche, et quand le ciel orangé fut sur le point de laisser place à la brillance de la lune, elle décida qu'il était temps.

Ezra posa son sac sur la peau de bête et l'ouvrit, observant un instant les vêtements et la dague qui reposaient à l'intérieur. Un fin sourire se dessina sur ses lèvres, contente de retrouver cet ensemble qu'elle ne pouvait plus porter depuis plusieurs semaines maintenant. Elle retira sa robe blanche et enfila une tenue de cuir souple -dont un pantalon et des gants-, noire, puis attacha ses cheveux dans un chignon brouillon. Elle glissa sa dague à sa ceinture et accrocha à ses épaules sa cape -qui camouflerait l'arme- munie d'un capuchon, avant de glisser le masque qui servirait à cacher son nez et sa bouche autour de son cou. Un bref souffle sur la bougie, et Ezra passa par la fenêtre pour s'éclipser dans la nuit.

Silencieuse, discrète, elle traversa la ville jusqu'à l'auberge où logeait le capitaine. Elle fit le tour du bâtiment, jouant avec les ombres pour ne pas se faire remarquer, et s'arrêta devant la fenêtre de Lazadhor. Ses yeux se relevèrent vers la fenêtre de la chambre, brillant légèrement sous la clarté de la lune. Aucune flamme ne luisait à travers les rideaux, où la chambre était vide, où il était endormi. D'un mouvement habitué, elle rabattit son capuchon sur sa tête et remonta son masque jusqu'à son nez. Puis elle grimpa. Rapidement, avec légèreté, il ne lui fallut pas plus de dix secondes pour arriver jusqu'à la fenêtre convoitée qu'elle traversa en repoussant le rideau. Un bref regard vers le lit, et Ezra constata qu'il n'était pas encore là. Ce serait plus simple ainsi. La jeune femme tira une chaise dans le coin le plus sombre de la pièce et s'assit dessus, pour attendre. Encore. Et quand enfin l'homme revint dans sa chambre, elle lui laissa le temps de refermer la porte pour signaler sa présence. « Bonsoir capitaine. » Sa voix flotta dans la pièce, douce, presque trop. « Veuillez pardonner mon intrusion, nous avons à discuter. » Ezra était consciente que son approche n'était pas la plus rassurante, mais il devrait faire avec. Dans le pire des cas, si il hurlait à la garde, elle s'échapperait par la fenêtre. Seuls ses yeux verts étaient visibles sous son déguisement, il était impossible de la reconnaître.

Lazadhor était un homme prévoyant et toujours sur ses gardes. Sans doute l'un des plus disciplinés du chapitre de l'Ordre Ardent. Le Qohorien faisait attention aux moindres détails et se préoccupait bien plus d'une situation où tout se déroulait correctement puisque c'était là que l'on voyait le moins arriver les problèmes. Une illusion car, dans la vie, il était bien plus simple de se bercer des douces chimères qui nous entouraient pour se persuader que le monde dans lequel il vivait était sain et insoumis aux jeux du trône. Mais le Capitaine Marios n'était cette personne et fort heureusement car il n'aurait pas tenu si longtemps dans les rues de Qohor et au sein de l'Ordre Ardent.

Le Golgoth avait passé la soirée avec ses camarades et subordonnés, beaucoup étaient restés au fief du chapitre dans le sud-Ouest de Dorne. Mais Lazadhor avait confié à ses hommes et lui-même la mission de récolter le plus d'informations possibles sur Westeros et les rumeurs s'y écoulant à travers la brise et la faiblesse des hommes à garder des secrets pour eux. L'information était le nerf de la guerre, et il n'était pas question de s'engager en terrain inconnu. Il passait le plus clair de son temps à l'auberge, payant quelques bières et chopes d'hydromel ci et là. L'alcool avait pour miracle de délier facilement les langues, mais jusqu'à lors, à part des informations banales sur le continent et les potins entre voisins, il n'avait toujours pas d'information sur une quelconque cabale à portée d'action.

Bien évidemment pour rester alerte, et à même de se rappeler de possibles dires, il était important de rester sobre. C'était donc ce qu'il faisait, de toute manière Lazadhor n'était pas un homme de fête. Un militaire se dédiait à être le plus performant physiquement mais aussi mentalement. Et les Septs savaient que l'alcool pouvait transformer rapidement le corps et le psyché d'un homme.

Après une soirée arrosée pour ses compagnons et les quelques piliers de l'auberge, Lazadhor retourna dans sa chambre. Espérant un calme plat lui permettant de débriefer et synthétiser le contenu des quelques mots éparpillés par les perroquets, il n'en fut cependant rien. En effet à peine eut-il le temps de refermer la porte qu'il entendit un élément perturbateur à l'intérieur même de sa chambre. Quelque chose de bien peu rassurant en temps normal, mais l'homme pragmatique qu'il était savait pertinemment que cela finirait bien par arriver tôt ou tard. Ignorant presque la présence plus que dérangeante, il se dirigea vers un petit meuble sur lequel était installé différentes bouteilles, toutes étaient intactes et pleines.

- Moi qui pensait passer une paisible nuit. Mais me voilà en présence d'une demoiselle de compagnie. Visiblement vous semblez déjà me connaître, après tout ce n'est pas comme si j'essayais de me cacher d'une quelconque manière.

Un sourire plat et dénué de toute sympathie, voilà ce qui ornait le visage de notre homme de devoir. Ce n'était pas la première fois qu'on le menaçait, à vrai dire Ezra ne l'avait même pas menacé directement. Pourquoi donc s'affoler ? Sa fin arriverait au moment opportun, ainsi marchait le destin. Et Lazadhor était ce qu'on appelait un déterministe. S'il devait mourir demain en étant écrasé par un dragon, alors qu'il en soit ainsi. Vivre au jour le jour lui suffisait, faire son devoir lui suffisait. Mais en même temps, un dessein plus sombre et plus personnel l'attendait plus loin, à des lieues de cela. A Qohor.

- Etant un homme d'hospitalité et Dorne nous ayant accueilli je ne puis faire mauvais hôte. Un verre si vous en souhaitez un ? Il ne faut pas négliger l'hydratation avec un tel climat vous savez ?

Si l'encapuchonnée acceptait la proposition, il aurait servit une bouteille, sans doute de l'hydromel, dans une chope en bois. La bouteille n'avait pas une apparence habituelle, mais le liquide ne semblait pas étrange pour autant. Lazadhor se serait ensuite approché sans hésitation vers elle en tendant le bras droit pour poser le contenant sur une petite table qui se trouvait non loin de là où elle se trouvait. Il irait ensuite se placer contre le meuble à boisson, croisant les bras, révélant sa musculature surdéveloppée par les années de labeur. En tout cas ce que pouvait laisser apparaître une tunique en lin des plus basiques. Si elle avait refusé le verre, il se serait directement mis contre le meuble avant de dire d'une voix calme poursuivant un bref soupir

- Je vous écoute très chère.

Si la présence inattendue d'une femme masquée des pieds à la tête aurait fait sursauter n'importe qui, le Capitaine Marios ne semblait pas se laisser déborder par ses émotions. Si tant est qu'il ait des émotions. Mais quoi d'autre que la colère et la haine pouvaient habiter ce genre de personnage ? Ezra le suivit du regard sans bouger de sa chaise. Elle était droite, les mains sagement posées sur ses cuisses, attentive au moindre geste suspect qu'il pourrait avoir. « Ce ne sera pas long, je ne viens point troubler votre nuit. » Ni l'y plonger éternellement, d'ailleurs. « Tout le monde vous connait. » confirma-t-elle. « Certains vous fuient. Et d'autres vous amadouent. » Mais tout ça n'avait rien de surprenant. Le continent de Westeros ne savait peut-être pas encore vraiment quel genre de fléau il laissait entrer, mais la jeune femme n'était pas dupe. Le nom de l'Ordre Ardent était suffisamment répandu en Essos pour appréhender. Ceci dit, elle n'avait rien à craindre, elle. Elle ne touchait pas à la magie.

La main gantée de la jeune femme se leva quand il lui proposa à boire, stoppant net toute tentative d'hospitalité. Elle n'était pas là pour boire, encore moins pour perdre la raison. Les bras croisés, les muscles de Lazadhor ressortaient dans une menace silencieuse. Elle n'était pas devant un fanatique aussi insignifiant que fragile, elle le savait. Toutefois une piqure de rappel n'était pas de trop et la jeune femme se pencha très légèrement en avant, les pieds plantés dans le sol. Ezra ne doutait pas de ses capacités, il n'y avait pas de place pour l'obscurité, elle volerait par la fenêtre si nécessaire. « Jusqu'où iriez-vous pour honorer le nom de votre Ordre, Capitaine ? Jusqu'à quel degré de la noble sphère brandiriez-vous votre épée ? » Ezra se leva finalement de sa chaise pour se mettre en mouvement, calmement, sans aucun geste suspicieux. Elle se contenta de longer le mur en frôlant la pierre du bout de ses doigts gantés, jusqu'à atteindre la fenêtre afin de jeter un coup d'oeil dehors. « Et si je vous disais que le Monde a besoin que vous agissiez chez ceux qui vous ont pourtant si bien accueilli ? » Les iris verts de l'assassin se reposèrent sur Lazadhor, assombris par la pénombre de la pièce. « Connaissez-vous la Loge ? » La jeune femme appuya ses fesses contre le rebord de la fenêtre, sa silhouette élancée formant une ombre dans la pièce qui s'évanouissait d'un coup, engloutie par le manque de lumière. « Avez-vous rencontré la princesse Naerys Martell ? »

Lazadhor fut un jeune homme séparé de son idéal par la violence et la brutalité de l'espèce humaine, du jour au lendemain, d'une heure à l'autre. Une vie qui s'effondrait tout comme sa maison face aux flammes. Et c'était dans les cendres de ce même événement que surgit l'espoir de son futur radiant : l'Ordre Ardent. C'était sa vie, sa famille, la raison qui le poussait à se réveiller chaque matin. Le Qohorien était un homme qui vivait pour subsister à travers les âges, qu'il continue de vivre à travers les récits, les légendes, après sa propre mort. Comme on le disait si bien, "nous ne mourrons réellement que lorsque le dernier souvenir à notre égard est oublié".

La Dornienne refusa son offre, elle avait eu au moins la décence et l'intuition de refuser ce verre de poison paralysant. Si les bouteilles étaient intactes et pleines c'est qu'il y avait bien une raison après tout. Le Capitaine avait essayé, la demoiselle avait résisté.

- Il est vrai qu'il est difficile de louper notre entrée sur le continent, surtout à Dorne. La vraie question est : pourquoi nous fuir alors que nous sommes ici pour le bien commun ? Nous apportons protection sur une partie de votre territoire et nous nous assurons que la pourriture ne viendra pas gangréner le reste.

L'Ordre Ardent admettait une vérité. Mais une vérité controversée car elle laissait simplement des conséquences dans son sillage que peu de gens appréciaient. Peu avaient été confrontés à la dure vie et la mort qui ne faisait qu'attendre d'abattre sa faux pour récolter l'âme des malheureux. Cette mort prenait différentes apparences, l'une d'entre elles était l'homme connu sous le nom de Lazadhor Marios.

- Les nobles sont les premiers responsables de l'expansion magique au cours de ces dernières années. Cela reste malgré tout délicat, mais ce ne serait pas la première fois que nous ferons tomber un distingué de son piédestal utopique. Tous paieront. Malheureusement l'épée n'est pas toujours l'arme la plus meurtrière et douloureuse pour cette espèce. Bien qu'elle soit la plus spectaculaire.

Une rage sourde qui ne s'exprimait que dans la voix, un visage impassible et des yeux azurs qui fixaient les émeraudes qui servaient d'interlocuteurs. Visiblement il était convaincu de ses propres propos, et il ne semblait pas douter quant à ses capacités pour éradiquer la vermine qui toquait aux portes de chaque habitant du continent.

Avant de poursuivre il hissa une bougie qui était posée sur le meuble devant ses yeux, son bras gauche restait croisé sur son torse alors que le droit soutenait la flammèche. La petite flamme se reflétait dans ses océans, comme obnubilé par la danse ardente qui s'offrait à lui : imprévisible, magnifique.

- Avez vous déjà été brûlée Dornienne ? Les flammes ont ce côté pur qui ne fait distinction entre les êtres. Tout le monde peut en être victime : les nobles comme la plèbe. L'or ne vous sauve pas des flammes. Mais, les flammes elles, peuvent vous sauver et vous assurer rédemption. Les flammes ne mentent pas, les cris de douleur non plus.

Ce discours si macabre et pourtant sujet fascinant pour Lazadhor se poursuivit, ses yeux se fixant avec des traits plus sombres sur Ezra. Un ton tout de suite plus dur qui accompagnait sa palabre.

- Avez vous déjà hurlé de douleur Dornienne ? Une douleur qui vous assure la vie mais qui chuchote à votre oreille qu'il est préférable de mourir. J'ai rarement vu une telle pureté de l'âme, sans filtre ni artifice, que lors d'un hurlement de douleur. Les cordes vocales qui se déchirent, les veines qui ressortent, les traits étirés, les muscles du cou qui pulsent à chaque note de cette douce mélodie.

Il huma l'air en fermant longuement les yeux, une odeur de brûlé qui arrivait jusque dans ses narines. Malheureusement tout ceci n'était qu'un mirage

- Dites m'en plus sur cette Loge. Et sur cette Princesse Martell.

Quelque part sous le masque qui protégeait plus de la moitié du visage d'Ezra, un sourire se dessina. Invisible, fin. Satisfait. Seuls ses yeux, dont la teinte claire se drapa d'une lueur d'intérêt, pouvaient trahir ce petit rictus. Ezra aurait pu s'engager autrement auprès de Lazadhor, venir se présenter à lui sous le rôle qu'elle exécutait au palais, jouer l'ignorante et tâter le terrain pour mieux manipuler l'homme. Elle avait préféré, sous couvert d'anonymat, frapper de front, et elle commençait à penser que c'était effectivement la meilleure option qu'elle aurait pu choisir. Rien ne justifiait de passer par les petites brèches exiguës quand la ferveur d'un homme suffisait à le lancer dans de sombres desseins. L'assassin ne répondit pas au discours de protection de lui servait le Capitaine, le laissant se plaire dans ses paroles. Ce qui arrivait à Dorne lui était bien égal, elle n'avait qu'une hâte, rentrer en Essos et retrouver Melnik. Mais le Faiseur avait probablement d'autres projets pour elle, il ne l'aurait pas envoyé aussi loin si ce n'était que pour une mission.

Ezra aurait été bien mal placée pour émettre un jugement sur le niveau de fanatisme de Lazadhor. Elle-même obéissait avec aveuglement à une doctrine qui lui avait été inculquée et si une autre institution pouvait servir ses intérêts, elle n'avait que faire des mœurs de ceux qui l'en composaient. L'Ordre Ardent n'était qu'une autre facette malade de ce monde cancéreux. La rage dans le regard de son exécutant était d'autant plus plaisante qu'elle assurait pratiquement que le plan se déroulait à la perfection. Il était attentif. Mieux, réceptif. Assise sur le bord de la fenêtre, la jeune femme porta son attention sur la bougie qu'il tenait à hauteur de son visage. Une face charismatique, au regard séduisant, mais impassible. Nombre de victimes devaient plier devant tant de beauté pour mieux regretter leur choix une fois piégées entre ses griffes. « La purification par la souffrance. » souffla-t-elle comme une confirmation. Mais non, sa formation avait été aussi brutale que cruelle, mais à aucun moment ses Maîtres n'avaient jugé bon ou utile de la brûler. Son corps restait un outil de travail, parfois de séduction, elle ne pouvait se permettre d'afficher une planque écœurante de chaire brulée. De nombreuses cicatrices parcouraient déjà son corps et elles étaient suffisantes. Cachées. Mais bien présentes. « J'entretiens une étroite relation avec la Souffrance, Capitaine. Elle est loin de m'être inconnue, mais je préfère quand elle me sert d'arme que lorsqu'elle s'attaque à moi. »

La fumée qui s'élevait pour venir se perdre dans les narines du Capitaine avait quelque chose de presque pesant. La jeune femme avait souffert de bien des tortures, mais elle n'espérait jamais avoir à brûler vive. Le temps que les chaires se consument, que les organes soient atteints, que le coeur s'arrête... Le temps de mourir était bien trop long. Il ne le serait pas pour elle si le Capitaine remplissait son rôle. « Je ne sais que peu de choses sur la Loge, qui sait rester discrète. Ce que je peux vous dire, c'est que cette guilde répand ses sorcières sur le continent comme des rats dans une cave. » La voix d'Ezra était toujours aussi calme, posée, neutre. L'assassin n'avait aucune rancœur, aucune appréhension contre la magie. Il existait en ce monde bien des choses que l'Homme ne pouvait comprendre, l'esprit trop étroit, les connaissances trop limitées. Mais son Maître, lui, les voyait d'un autre œil. « Vous avez été accueilli à Dorne sous l'hypocrisie de ses dirigeants, Capitaine. » finit-elle par exprimer. « Notre chère princesse voue une dévotion sacrée à la Loge, qui a permis de faire éclater ses pouvoirs et qui va continuer à lui apporter toute la puissance nécessaire à leur expansion. Entre autres plans qu'ils élaborent en secret, bien évidemment. Il serait naïf de penser que la Loge acte dans la bienveillance et l'altruisme. » Ezra se détacha de la fenêtre, toujours sans geste brusque, et approcha tranquillement du Capitaine pour s'arrêter face à lui, assez proche pour que leurs deux auras se frôlent, pas assez pour qu'un mouvement inattendu du Capitaine passe inaperçu aux yeux de l'assassin. Elle leva lentement la main, venant faire bouger ses doigts au dessus des flammes dans un geste gracieux, joueur. Puis elle releva les yeux vers lui. « La gangrène que vous tentez d'éviter a déjà incrusté tous les pores de cette ville. Mais vous pouvez encore l'arrêter. Frapper un coup fort, symbolique. Rappeler au Monde que même la royauté n'est pas exempt des règles qui ne sont là que pour assurer la protection de tous. » Un nouveau sourire se forma sous son masque, créant un très léger mouvement de ses yeux. « Je ne vous demande pas de me croire sur parole, mais sachez que je ne suis qu'une alliée à votre cause. A notre cause, à tous. Renseignez-vous. Agissez. Le peuple de Dorne compte sur vous. »

Ezra avait le don des mots et du mystère. Le don nécessaire pour survivre à la cour d'un royaume, Lazadhor émettait des hypothèses, mais cela ne restait rien d'autres que des suppositions. Que voulait-elle ? Une mercenaire ? Une activiste ? Une vipère ne souhaitant cracher que son venin ? Car, ce venin, pour le moment, avait un goût sucré et presque enivrant. La demoiselle de compagnie avait un côté mystérieux qui rajoutait un certain charme. Une intimité ne servant que d'illusion dans un lieu intime en étant dépourvu.

- Et pourtant, comment se délecter de la souffrance des autres si on n'en
a jamais fait connaissance soi-même ma douce ? Tout le plaisir se trouve en ce moment où vous ressentez ce que vous infligez à l'autre. Tout en savourant le fait que vous en sécurité, c'est ce côté si pervers qui donne toute sa beauté à la souffrance.

Lorsqu'elle s'approcha à un pas de lui, sa tête se pencha très légèrement sur sa gauche, l'oeil gauche jugeant la personne dans ses dires. Dorne était terre de sorcellerie, peut-être, mais ce n'était que le début d'une longue liste. De plus le Capitaine ne pouvait accorder un total crédit aux dires de son interlocutrice. Sa main libre, la gauche donc, viendrait essayer d'attraper doucement le menton de sa partenaire du soir, délicat et attentionné, bien aux antipodes de ce qu'il peut dégager de par son apparence. Mais son air sévère ne laissait planer qu'un léger doute sur ses véritables pensées.

- Et vous, chère demoiselle. A qui portez vous dévotion sacrée ? Croire en une personne camouflée, refusant d'assumer ses dires l'identité dévoilée, serait bien faible de ma part.

Si l'originaire d'Essos l'avait laissé faire, son regard détaillera sa capuche légère camouflant sans doute une belle chevelure jais, propre aux dorniennes. Sa main remonterait ensuite le long de sa fine mâchoire pour effleurer dangereusement cette capuche du dos de son index. Sa voix était calme, dénuée de toute agressivité. Mais elle en restait tout aussi dérangeante, un côté suave qui n'allait pas particulièrement avec la nature de la situation.

- Il me serait tout aussi naïf de penser que vous actez dans la bienveillance et l'altruisme. Si le peuple compte sur nous, pouvons nous compter sur vous ?

Le Qohorien n'avait fait que reprendre les mots de la belle Essosi, c'était un homme d'action, mais aussi un homme qui savait manier parfaitement sa langue pour arriver où il le souhaitait

L'apathie d'Ezra se mêlait souvent à son sadisme, et la souffrance qu'elle infligeait aux autres n'était bonne que lorsqu'elle avait des comptes personnels à rendre. Elle était la mort, silencieuse, obscure. Pas le tortionnaire. Lorsqu'elle torturait quelqu'un, elle le faisait avec des outils adaptés, avec le moins d'effusions de sang possible. « Je n'ai pas besoin de reconnaître la souffrance que j'inflige, les cris et le regard suffisent à la mesurer. » Elle avait parlé trop vite. Happée par le regard du Capitaine, elle s'était laissée emporter sur un détail personnel qu'il n'avait pas besoin de connaître. Ce n'était pas bien grave parce que pas bien important, mais ça restait une faille qu'elle n'aurait pas dû laisser passer.

Toute proche, elle pouvait mieux observer les traits du visage de l'homme, malgré la pénombre. Ses petits yeux très clairs, les petites plissures de l'âge sur le front, les légères rougeurs sur les joues, ses lèvres pincées... Il était séduisant, à n'en pas douter. Quel gâchis. Lorsque sa main remonta sur son menton, Ezra n'eut aucun mouvement de recul. Elle ne se sentait pas particulièrement en danger et était parfaitement en mesure de réagir s'il faisait quelque chose d'inattendu. Pour l'instant. « Ma dévotion va là où il y en a le plus besoin. Aujourd'hui, elle cible votre cause. Demain, elle se portera sur une autre, en accord avec mes valeurs. Et la sorcellerie est une hérésie que je ne saurais supporter. » Bullshit. Mais la séduction, par les mots ou par le corps, voir parfois les deux, faisait aussi partie de son travail.

Ezra n'avait pas lâché le regard de l'homme, suivant la direction de ses yeux en devinant là où il les posait. Il cherchait un indice, quelque chose, n'importe quoi, de l'inscription maladroite à la provenance du tissu, elle en était presque certaine, mais il n'y trouverait rien de spécial. La cape était d'un mélange de matière qu'on trouvait n'importe où, noire, sans aucune inscription ou marque dessus. Rien, sur les vêtements d'Ezra, ne laissait soupçonner son rang, son rôle, sa provenance. Tout se trouvait en dessous, à même sa peau. Et si l'assassin le laissait tant jouer avec le feu en frôlant la capuche, c'était bien qu'elle pensait qu'avec ou sans, ça ne changerait rien. Il lui restait un masque qui couvrait de son nez jusqu'à son menton. Si elle devait un jour se faire trahir, ce serait par ses yeux, elle le savait. Mais c'était bien l'une des seules choses qu'elle ne pouvait pas déguiser. « Je n'acte ni dans la bienveillance, ni dans l'altruisme. J'acte pour ce qui est juste. Vous pouvez me croire et faire ce qu'il faut, ou vous pouvez balayer mes paroles en pensant que je n'étais qu'un trouble dans votre nuit. Mais quand la Loge se sera complètement emparée de Dorne parce que l'une de ses dirigeants est prête à tout leur céder pour un peu de pouvoir, il sera trop tard. » Elle échappa à ses doigts en reculant d'un pas léger. « Je ne suis que la messagère, vous ne me reverrez pas. Tout repose sur vous, sur votre capacité à agir. Et je suis certaine que vous prendrez la bonne décision, pour le bien de tous. » Puis ses pas la menèrent jusqu'à la fenêtre, prête à la franchir pour s'éclipser si l'homme n'avait plus de questions.